Partie I : un bras de fer que nous avons gagné !

En mai 2012, nous avions annoncé que nous organiserions un week-end de l’abolition à Alès à l’occasion des trois séances de torture du dernier week-end de la feria. Dès le mois de janvier 2013, j’avais bien précisé à mon contact du Service Départemental de l’Information Général (SDIG, ex RG) que nous souhaitions :

  • débuter les manifestations au parc du Bosquet, à côté de la mairie
  • parcourir la feria
  • manifester face aux arènes dans la rue de Madrid

Seul ce dernier point pouvait potentiellement poser problème. Pour le reste, tout semblait acceptable à mon interlocuteur. Dans le respect de la loi (on doit déclarer une manifestation entre 3 et 15 jours francs avant sa tenue), le CRAC (association alésienne membre du CRAC Europe) a donc envoyé une déclaration de manifestation le 22 avril, soit trois semaines à l’avance.

Première réunion en sous-préfecture : blocage total et pressions

Le mardi 30 avril, je suis reçu deux heures par le sous-préfet d’Alès, Christophe Marx. En résumé : tout est refusé ! Le point de départ, les parcours et le point d’arrivée. Au cours de la discussion très argumentée le sous-préfet se coupe à plusieurs reprises. Il annonce par exemple que chaque année des arrêtés municipaux interdisent de manifester dans la zone de feria. Faux ! Il n’y en a jamais eu. Il prétend qu’un arrêté a déjà été pris. Il est dans l’incapacité de me le montrer… Et pour cause : il n’était pas encore rédigé. Les autorités sont dans l’approximation, marchent au bluff et cela ne fonctionne pas. Cet entretien leur permet au moins de comprendre une chose : nous ne sommes pas sensibles aux pressions et leur façon d’agir va totalement à l’encontre de leur souhait affiché de conserver l’ordre public. Se dessine alors une situation totalement surréaliste : les abolitionnistes sont condamnés à subir une double peine : en effet, nous ne pouvons pas nous réunir au parc du Bosquet à côté de la mairie (lieu pourtant annoncé depuis des semaines en affichage 4 par 3 dans toute la ville) nous ne pouvons pas traverser la feria, nous ne pouvons pas nous approcher au plus près des arènes car les amateurs de torture sont potentiellement violents. Il ne faut pas les déranger ! Et comme nous sommes pacifiques, nous ne sommes pas respectés et nos demandes non prises en compte. Situation parfaitement insupportable que j’ai signifiée au sous-préfet en lui précisant que cette façon de gérer la situation ne pourrait qu’aboutir à des troubles à l’ordre public. Et que c’est bien la corrida qui allait les générer ! Blocage total et fin d’une première réunion de 2 heures…

Deuxième réunion en sous-préfecture : guerre de tranchée !

Le vendredi 3 mai, nouveau rendez-vous. Rien de nouveau, toujours pas d’arrêtés municipaux à me montrer. Le sous-préfet reconnaît qu’il n’y a jamais eu d’arrêtés municipaux pour interdire des manifestations pendant la feria. Mais cette année ce sera différent. Ah bon ? Les autorités jouent avec le feu et devront prendre, à ce stade, toutes leurs responsabilités. Je demande que nous soient signifiées au plus vite les décisions du maire d’Alès et du préfet du Gard. Réunion d’une heure à laquelle je mets fin puisque le blocage persiste…

Troisième rencontre express : notification des arrêtés municipaux

Le mardi 7 mai, retour en sous-préfecture. M. Marx me notifie officiellement les deux arrêtés municipaux d’interdiction de manifester dans la zone de feria et dans une zone très large autour des arènes. Je prends connaissance et constate que les arrêtés ne sont ni datés, ni enregistrés, si signés par le maire ! Quelle précipitation, quelle approximation ! J’ai droit en plus à un courrier personnel du préfet qui rappelle au vilain petit garçon que je suis, la loi et les risques encourus si jamais nous ne respectons pas les règles. Avec une mention manuscrite. Le comble du ridicule. Par ailleurs, dans son courrier, le préfet du Gard, M. Bousiges, impose des parcours qui n’ont rien à voir avec nos demandes et qui nous éloigne du centre-ville. A ce stade les autorités n’avaient manifestement pas encore compris notre niveau de détermination.

Jeudi 9 mai : référé liberté !

Face à cet abus de pouvoir manifeste de la part des autorités, un éminent juriste rédige dans la soirée du mardi 7 mai un référé liberté, procédure d’urgence devant le tribunal administratif de Nîmes pour faire annuler ces arrêtés qui bafouaient notre droit à manifester et notre liberté d’expression. Les documents sont faxés le 7 mai avant minuit. Le tribunal a 48 heures pour réagir, c’est le principe de cette procédure d’urgence. Le 9 mai après-midi, la présidente du tribunal de Nîmes rend son verdict : les arrêtés sont conformes ! Notifiés deux jours avant ! Pas datés ! Pas signés ! Pas enregistrés ! Aucune importance, circulez, il n’y a rien à voir. C’est vrai, j’avais oublié, nous sommes à Nîmes !!!

Quatrième rencontre : le rendez-vous de la dernière chance en sous-préfecture…

Contre toute attente, face à ce blocage qui présageait de manifestations plus que tendues (on ne se moque pas impunément des citoyens de manière aussi grossière et visible…), nouvelle proposition de rendez-vous à 17h00 en sous-préfecture, la veille de la première manifestation ! Sont présents : le sous-préfet Christophe Marx, le directeur-adjoint de la police du Gard Yannick Janas et le représentant des RG Gilles Roméro. Coup de théâtre : les parcours imposés par le préfet volent en éclats ! Tout devient enfin négociable ! Nous pourrons donc comme prévu mettre en place un point relais (en zone interdite par le premier arrêté municipal !) pour accueillir les militants, nous pourrons manifester en centre-ville en nous rapprochant au plus près de la zone de feria qui entendra notre message et enfin la distance manifestation statique – arènes est réduite pratiquement de moitié. Pendant les deux jours, nos trois cortèges entreront dans la zone interdite. Réunion de deux heures.

Conclusion

L’autorité préfectorale s’est rendu compte du danger majeur que sa façon de gérer la situation faisait prendre à l’ordre public. Elle a donc ignoré les arrêtés municipaux du maire Max Roustan, bafouant ainsi les décisions du souteneur des corridas à Alès. Implicitement, cela veut bien dire que ces arrêtés étaient abusifs !

La morale de cette affaire aux nombreux rebondissements est limpide. Dans ce pays, si nous voulons être entendus, nous devons être très fermes, ne rien lâcher, utiliser tous les moyens légaux à notre disposition (référé liberté par exemple). En tout cas, une chose est certaine, les autorités ont enfin compris que nous ne plaisantions pas. La peur doit changer de camp. C’est aux tortionnaires et aux sadiques à avoir honte. Alès a vécu ses dernières corridas, c’est une évidence. Nous ne permettrons pas que le massacre des innocents perdure. La corrida va générer du trouble à l’ordre public, de plus en plus. Ce n’est qu’un début. Et quand Alès sera enfin libérée de cette barbarie, nous nous attaquerons à une autre ville. Car les provocateurs sont en face. Les provocateurs sont celles et ceux qui se repaissent de l’agonie, de la souffrance et de la torture d’herbivores qui n’ont rien fait. Les 11 et 12 mai, Jérôme Lescure et Jean-Marc Montegnies sont allés prendre des images des deux premières corridas. Et comme a pu le dire Jérôme, ces aficionados sont des monstres ! Dimanche matin, lors de la novillada, un jeune taureau, presqu’un veau, a été transpercé par une épée et ses boyaux sont sortis par l’ouverture. Les aficionados joyeux se moquaient du taureau : « on dirait un arbre de noël ! »… Et nous devrions rester calmes face à de tels sadiques, à de tels pervers ! Nous le répétons, la provocation est en face, arrêtons de renverser les valeurs !

JP Garrigues
Pour le CRAC et le CRAC Europe


Partie 2 : Les manifestations

11 mai : Arrivée à Alès !

Pour de nombreux manifestants, le week-end de l’abolition a commencé dès le vendredi soir, lorsqu’ils ont rejoint les bus, trains ou voitures qui allaient les conduire dans le sud, « pour les taureaux ».

Le bus parisien est arrivé en région alésienne aux alentours de 10 h du matin.
A peine entrés en ville, une patrouille de police qui nous attendait de pied ferme, nous a sommés de nous arrêter. Nous avons dû annoncer d’où nous venions, combien nous étions, où nous logions…
Les policiers se sont montrés tout à fait cordiaux et après nous avoir distribués un plan de la ville et de ses zones interdites, nous ont escorté jusqu’au parc du Colombier. Là-bas une dizaine de militants attendaient déjà derrière les grilles du parc qu’ils ne pouvaient quitter sans justifier d’une raison valable pour la police.

Malgré l’inquiétude quant au parcours des manifestations (allait-on pouvoir nous approcher assez près pour nous faire entendre ou allait-on rester cantonnés à une zone désertique de la ville ?) les manifestants étaient déterminés et passaient le temps en échangeant des plaisanteries sur la situation dans laquelle ils se trouvaient.

Les CRS et officiers en civil étaient partout. Les bus arrivaient les uns après les autres encadrés à l’avant par des motards et à l’arrière par une voiture banalisée.

Le chef de la police s’est présenté à nous et nous a assuré qu’il faisait tout pour atteindre un objectif : nous faire apprécier notre séjour à Alès !
En effet, c’était bien parti…

Les manifestants ont continué d’affluer au parc du Colombier. Autour de nous, on parlait français bien sûr (parfois avec un accent belge !) mais aussi catalan, espagnol, italien, anglais, tandis que les premiers stands ouvraient, et quand Jean-Pierre Garrigues, le président du CRAC, est arrivé, nous étions déjà nombreux à avoir revêtu le fameux T-Shirt rouge, symbole de la manifestation.

Première manifestation et première corrida

(Rappel : 6 taureaux sont torturés et tués lors d’une corrida)

Nous avons rapidement été gratifiés d’une bonne nouvelle : la réunion avec le sous-préfet qui s’était tenue le soir précédent avait été fructueuse, et les parcours de manifestation allaient nous permettre de nous approcher au plus près des arènes et de la féria.

Le temps s’est accéléré, Jean-Pierre nous a fait un état de la situation depuis le début des négociations avec les RG jusqu’aux arrêtés que nous avons attaqué en référé, jusqu’à la lettre de Brigitte Bardot venue soutenir la manifestation, et jusqu’à l’ultime réunion.

L’éloquence et l’humour des intervenants ont retenu l’attention de tous et parfois, on pouvait même voir un CRS esquisser un sourire en même temps que nous.

Un extrait de la lettre de Brigitte Bardot a été lu par Christophe Marie, directeur et porte-parole de la fondation éponyme ; et Brigitte Gothière, co-fondatrice de L214, à peine arrivée de Lyon, s’est exprimée au micro. Avec détermination et talent, le juge Gérard Charollois, président de la CVN a parlé devant un public attentif et subjugué par la force de ses propos.

Les équipes de télévision de BFM, de TF1, de France 3 et de l’AFP ont interviewé des responsables d’association et des militants. RMC, RTL, France Infos, Midi Libre, la Dépêche du Midi, la Provence, Objectif Gard avaient aussi envoyé leurs équipes ! Notre week-end était déjà un succès médiatique !

Il a ensuite été temps de former le cortège de la manifestation. Des drapeaux, des panneaux, des banderoles ont été distribués et nous avons entamé notre marche dans les rues d’Alès au rythme de la sono, en scandant des slogans.
Très vite il est apparu nettement que la majorité des habitants nous regardaient avec sympathie, certains alésiens ouvraient même leurs fenêtres pour nous applaudir.

C’est la première fois qu’une manifestation pour la cause animale à laquelle je participe est si bien accueillie. Nous avons tout juste croisé deux personnes dont l’attitude agressive et provocatrice trahissait le goût pour la torture tauromachique. Le soutien de la population a été particulièrement évident le long des rives du Gardon.

Nous avons finalement atteint les abords des arènes et les deux rangées de barrière que gardaient les CRS. Jean-Pierre était toujours sur le toit du camion sono, nous expliquant les ressorts politiques des décisions qui nous étaient imposées.

Certains aficionados qui sortaient de la première corrida du week-end, sont passés juste derrière les CRS. L’un d’entre eux nous a lancé une insulte déclenchant la colère des militants. Il a été demandé fermement que les aficionados soient contenus et éloignés de nous, puisque tous les efforts avaient déjà été faits pour que nous restions à distance !

La situation est devenue électrique, le mécontentement grandissait chez les manifestants sur-motivés qui sifflaient et criaient leur détermination à faire disparaître la torture tauromachique.

Les forces de l’ordre ont fini par perdre leur sang-froid et à faire usage de bombes lacrymogènes. Des jeunes gens ont alors quitté l’avant de la manifestation, se frottant les yeux, pleurant et étouffant. Certains ont dû s’allonger sur le bitume pour reprendre leurs esprits…

C’est donc bien suite à de nouvelles provocations des pro-torture et au zèle de certains policiers que ce dérapage a eu lieu. Le directeur-adjoint de la police du Gard l’a lui-même reconnu auprès de Jean-Pierre Garrigues. Dans le même temps, un camion rempli de taureaux passait en contrebas, des gens sur le toit du camion donnant des coups de pique (trident, renseignements pris) aux taureaux. Quelle était encore cette provocation supplémentaire ? Des bouteilles d’eau en plastique ont été envoyées par les manifestants, une chaise a volé en direction du personnage qui piquait les animaux ce qui est bien entendu regrettable. Il s’agissait en fait de taureaux camarguais que l’on mettait dans le camion, sous notre nez, et sans grand ménagement. Pourquoi les autorités n’avaient-elles pas tout simplement barré la route en contrebas ? Cela aurait évité les conflits. Un individu a envoyé depuis le camion des taureaux une pierre et a touché une militante au bras. Une plainte est en cours de dépôt. Les organisateurs de la manifestation abolitionniste ont demandé aux autorités de faire cesser ces provocations, ces affrontements potentiels afin que cette situation ne se renouvelle pas le lendemain.

Dimanche 12 mai au matin, seconde manifestation et seconde corrida

Le lendemain matin dès 9h nous étions sur le pied de guerre, bien décidés à se faire entendre et à crier encore plus fort que le jour précédent. Avant le départ, Jacques Dary, co-fondateur du CRAC avec Aimé Tardieu, a pris la parole avec beaucoup de cœur et d’émotion. Paolo, un cycliste italien venu de Turin en vélo pour rallier Alès a présenté son action : rouler pour les taureaux.
Nous avons ensuite suivi un parcours différent, mais nous avons encore constaté la sympathie de la très grande majorité de la population à notre égard.
Le discours de Jean-Marc Montegnies, qui avait assisté à la corrida du samedi après-midi pour pouvoir témoigner de la cruauté de la tauromachie en photos et en mots, a touché tous les manifestants. Nous avons été très choqués d’entendre qu’un jeune taureau dont le ventre avait été transpercé par une épée et dont les entrailles sortaient, était sujet de plaisanterie pour les aficionados qui le comparaient à un sapin de noël ! Nous avons été horrifiés d’entendre que ces mêmes aficionados se régalaient de pop-corn tandis qu’un jeune animal vomissait les litres de sang qui l’étouffait au centre de l’arène.

Dimanche après-midi, dernière manifestation et dernière corrida

Dimanche après-midi, lors de la dernière manifestation, le camion sono mené par Jean-Pierre et suivi par 20 manifestants tenant des drapeaux, a pu entrer dans la zone interdite de la féria, alors que des milliers de manifestants restés en retrait conformément aux ordres de la police, criaient et sifflaient pour l’abolition de la corrida.

Encore une fois nous avons atteint la clinique Bonnefont, et encore une fois nous nous sommes fait entendre jusqu’aux arènes. Les sifflets, slogans, cornes de brume et la sono se rejoignaient pour empêcher les aficionados de torturer en paix.

Les militants garderont tous en mémoire les images de Jean-Pierre Garrigues, Jean-Luc Bernard, Franck Andrieux, Roger Lahana et Christian Huyart agitant des drapeaux sur le toit du camion, arborant parfois un fumigène, au son d’une musique bouleversante, tandis que dans l’arène toute proche, de jeunes taureaux mouraient à petit feu pour le plaisir criminel des barbares.

Les trois manifestations ont également été l’occasion d’entendre Jacques Dary, l’illustre fondateur du CRAC, Jérôme Lescure le réalisateur d’ALF et d’Alinéa 3, et de rendre hommage à Patrick Sacco et à Théodore Monot. Un message de soutien d’Henry Jean Servat a également été lu.
La manifestation s’est terminée après plusieurs minutes de recueillement en mémoire des taureaux torturés à Alès durant ce week-end que nous avons voulu être le « week-end de l’abolition ».
Ce dimanche, nous avons réitéré notre promesse de débarrasser définitivement Alès de la honte tauromachique… avant de passer à la ville suivante !
Merci à tous les manifestants, et à tous les bénévoles. Quant à ceux qui ne nous ont pas encore rejoint, nous les invitons à nous suivre instamment. C’est maintenant que s’écrit l’Histoire de l’abolition ! Nous avons besoin de toutes les personnes de coeur pour gagner cette guerre contre la barbarie !

Muriel FUSI
déléguée du CRAC Europe pour l’Ile de France.

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