Il y a beaucoup à dire de la manifestation anti-corrida qui s’est déroulée à Alès, et tout d’abord un immense merci pour les 5000 manifestants qui ont convergé dans la capitale des Cévennes, battant ainsi le record d’affluence de l’an dernier. Après Rodilhan en octobre 2013 mise en état de siège par son maire, la crispation paranoïaque du pouvoir est montée d’un cran puisque cette fois nous avons eu droit à une ville placée sous plan Vigipirate, ce qui nous a créé de sérieux obstacles. Notre seul regret a été de n’avoir pu sauver les taureaux, victimes une fois de plus de cette pratique barbare dont nous obtiendrons tôt ou tard l’abolition.

Les six taureaux ont été torturés et tués. Rien de ce que nous avons fait n’a pu l’empêcher. L’un de nous, présent dans les arènes, a filmé le massacre dans son intégralité. Il en est ressorti sérieusement choqué. Sa vidéo sera bientôt en ligne. Ce genre de témoignage est crucial pour notre cause. Il faut que les gens qui se disent indifférents à cette barbarie sachent et voient par eux-mêmes.

En début d’après-midi, alors que le cortège avançait, deux arrêtés nous ont été remis, l’un municipal et l’autre préfectoral, précisant que la ville venait d’être placée sous plan Vigipirate spécialement pour nous. Une mesure sans précédent dans l’histoire de la cause animale en général et de la lutte anti-corrida en particulier. Soulignons que seul le Premier ministre a ce pouvoir dans notre pays. Inutile de rappeler qu’il s’agit de l’aficionado Manuel Valls, qui continue donc à vouloir nous freiner au maximum dans nos avancées contre la pratique de sévices graves et actes de cruauté sur des animaux, autorisée par exception pour cause de tradition locale ininterrompue, la corrida. Ce plan est l’un des outils du dispositif français de lutte contre le terrorisme,une mesure totalement disproportionnée alors qu’il s’agissait d’une manifestation pacifique parfaitement déclarée et autorisée, qui n’a connu aucun incident sérieux.

Cela a eu plusieurs conséquences directes. La première c’est que de nombreux fonctionnaires allant du Bureau de Lutte antiterroriste (BLAT) jusqu’au SDIG (renseignements généraux) en passant par les CRS et la gendarmerie mobile (300 sur place), ont été mobilisés, certains depuis plusieurs semaines, pour nous pister de près et désamorcer toutes nos tentatives (ou presque) de mettre sur pied des actions parallèles à la manifestation proprement dite. M. Janas, directeur de la Sécurité publique du Gard, nous a aussi parlé d’hélicoptères mais nous ne les avons pas vus.

Le fait que ces actions aient été prévues pour être à la fois légales et pacifiques a donc conduit le préfet du Gard à sortir un arrêté préfectoral incroyable dans une démocratie. Il crée en effet le concept de présomption de culpabilité : si on est présumé anti-corrida et qu’on achète des places pour une corrida, on est considéré automatiquement comme des coupables non pas en puissance, mais confirmés comme tels et ce, avant d’avoir commis le moindre délit.

Nos juristes vont analyser de près cet arrêté et toutes les suites nécessaires lui seront données, même si cela n’aura des conséquences que bien après la fin de cette manifestation. Pour mémoire, le préfet des Landes à l’époque de l’action non déclarée de Rion des Landes avait, lui, respecté strictement la loi et la présomption d’innocence : « Nous sommes en France, et […] dans notre République, on ne peut pas présumer que quelqu’un va commettre une infraction. Il en va de la garantie des libertés individuelles. »

Nous avions planifié plusieurs actions dans les arènes, toutes légales et pacifiques. De toute évidence, nous ne pouvions pas les expliquer aux milliers de manifestants devant les forces de l’ordre. Il n’est pas question, pour des raisons évidentes, de vous décrire ici en quoi consistaient ces actions puisque l’arrêté préfectoral démontre par son contenu que leur nature exacte reste un mystère pour les autorités. Et pour cause : l’équipe restreinte qui les a imaginées n’en a jamais parlé sur internet (ni mails, ni réseaux sociaux), ni par téléphone (fixe ou portable, plusieurs dizaines d’entre nous étant sur écoute). Tout est passé par des réunions physiques dans des locaux sécurisés.

Les autorités avaient cependant bien conscience que nous allions réussir à faire annuler cette corrida. Aussi, le préfet a choisi de rendre purement et simplement invalides les places que nous avions achetées. Comment a-t-il su quelles étaient ses places ? En supposant que celles achetées par quatre d’entre nous, désignés comme des « anti-corrida notoires », étaient par définition à neutraliser. Et comme il se trouve que bien d’autres que ces quatre « notoires » en ont aussi acquises, il a décidé de bloquer toutes les séries de places qui avaient été achetées par paquets de plus de dix. Pourquoi les acheter par paquets ? Parce que, les places étant numérotées, cela permettait aux militants de ne pas se retrouver isolés en terrain nettement hostile, un peu partout autour des arènes. Précisons que les achats avaient été effectués à la demande de militants qui souhaitaient entrer dans l’arène.

Les places n’étaient pas accessibles à la vente par internet. Il fallait forcément que nous nous rendions physiquement à l’unique point de vente qui a été ouvert deux semaines avant la corrida : l’office du tourisme (il est probable que d’autres points de vente ont été proposés au travers du réseau taurin, mais ceux-là nous étaient bien entendu inaccessibles).

Il va de soi que les places que nous avons achetées anonymement ont toutes été payées en argent liquide – il aurait été parfaitement stupide de les payer par chèque ou carte de crédit. L’ironie de la « méthode » choisie par le préfet est que, ce faisant, il a rendu interdites des places achetées par des aficionados qui, eux aussi, avaient voulu en acheter un grand nombre à la fois pour éviter de se déplacer par dizaines de villes voisines jusqu’à Alès. Ces aficionados ont donc été refoulés par les agents de sécurité des arènes qui les ont pris pour des anti-corrida déguisés.

Soulignons une bizarrerie : alors qu’il restait le samedi en début d’après-midi des piles impressionnantes de billets non vendus, auxquelles se sont ajoutées les 220 places annulées par le préfet, les gradins des arènes étaient miraculeusement aux trois quarts pleins à 17h quand a commencé la première corrida. Distribution gratuite de places pour sécuriser le remplissage au maximum des arènes ? On peut le supposer. Toujours est-il que seul un petit groupe de militants a pu entrer mais n’a pas pu tenir très longtemps à l’intérieur. Le Midi Libre a même parlé d’arènes à moitié vides.

Tout cela nous a beaucoup appris et nous a donné de nouvelles idées pour des actions futures.

Passons aux aspects positifs. Le premier est la mobilisation. Selon des agents des renseignements généraux peu avant la manifestation, environ 5000 manifestants ont convergé sur Alès. De fait, nous étions plus nombreux que l’an dernier, formant un cortège de taille impressionnante pendant la déambulation dans les rues de la ville.

Bien entendu, la police nous a fait savoir que nous étions seulement 1400 (devenus 1000 dans la presse locale). Ils reconnaissaient tout de même que nous avions battu leur propre décompte de 2013 où ils avaient annoncé que nous étions 1200, un authentique mystère si leurs chiffres étaient vrais puisque nous avions remplis à ras bord une avenue de près de 500 mètres en rangs serrés à dix de front comme le montrent les photos de l’époque.

Le second point positif est que nous avons gagné jusqu’à 200 mètres par rapport à l’an dernier, nous rapprochant ainsi très près des arènes. Certes, nous n’étions pas aux abords directs et pas (ou peu) à l’intérieur mais le bruit de nos sirènes, de nos sifflets et de nos slogans a au moins perturbé le spectacle morbide qui se déroulait pendant ce temps.

Le troisième motif de satisfaction est le nombre élevé de messages de soutien que nous avons reçus sur place à la fin de la manif, puis ensuite par mails et réseaux sociaux. Nous n’avons toujours pas réussi à sauver les taureaux pour qui nous venions, mais nous sommes à chaque fois un peu plus près et un peu plus fort.

La barbarie des arènes va finir par disparaître et cela, c’est non seulement parce qu’elle est éthiquement inacceptable, ce que le grand public perçoit de plus en plus, mais parce que tous ceux qui, parmi nous, sont des vrais militants que rien ne peut décourager (et certainement pas une opération d’achats de billets qui échoue par abus de pouvoir) ont vu leur détermination augmenter encore d’un cran lors de cette journée d’action.

Nous ne lâcherons jamais avant d’atteindre l’abolition. Jamais.

Roger Lahana
Vice-président du CRAC Europe

Partage

Shares