L’article 521-1 du Code pénal, section Crimes et Délits, dispose en son alinéa premier que « le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».

Mais, depuis cinquante ans, il est dans la législation française une loi injuste, en contradiction avec le principe même de la République “Une et indivisible”. Il s’agit de la loi Ramarony-Sourbet du 24 avril 1951 qui pose une exception à ce principe.

L’alinéa 7 (anciennement alinéa 3) de ce même article 521-1 du Code pénal dispose dès lors que « les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être établie ».

Ainsi, la corrida est caractérisée par le Code pénal comme étant illégale et relevant d’un délit réprimé partout sur le territoire national, à l’exception de onze départements du sud du pays où ce délit est exempté de peine. D’un point de vue juridique, il s’agit d’une immunité, au même titre que celles dont jouissent les députés ou le président de la République, sauf que pour eux, l’immunité tombe quand ils perdent leur mandat.

Parallèlement, la même exception est posée s’agissant de l’exercice volontaire de mauvais traitements sans nécessité, article R. 654-1, et lorsque la mort est donnée volontairement sans nécessité, article R. 655-1.

Une législation très ambiguë et des juges aficionados !

L’utilisation abusive de cette “tolérance” par les pro-corridas, ainsi que son interprétation exagérément extensive par de nombreux magistrats (souvent juge et partie) font que les organisateurs de ces spectacles peuvent tout se permettre et ce, en dépit de la condamnation formelle des actes de cruauté et des sévices graves envers les animaux mentionnée à l’alinéa. Cette contradiction législative est une iniquité qu’un pays profondément démocratique comme le nôtre se doit d’abolir. Il nous paraît donc essentiel et urgent de voir nos députés se pencher sur ce cas et œuvrer dans le sens d’une abrogation de l’alinéa 7 de l’article 521-1 du code pénal. Nous travaillons en ce sens auprès d’eux.

Depuis 1951, de nombreuses dérogations ont permis au lobby tauromachique de poursuivre ses pratiques sur le territoire français pour arriver à la situation actuelle : les arènes sont de fait assimilées à des abattoirs et les taureaux dits « de combat » sont donc des animaux de boucherie. Peut-on imaginer fin plus abjecte pour un animal que sa torture juste pour le plaisir d’une foule sanguinaire ?

Torture tauromachique : l’exception française…

Un peu d’Histoire…

La loi Grammont de 1850, qui réprimait les mauvais traitements infligés aux animaux domestiques, était applicable aux « courses de taureaux ». La chambre criminelle de la Cour de Cassation, par arrêt du 16 février 1895, s’était explicitement prononcée sur ce point [1. Le droit de l’animal, Suzanne Antoine , Légifrance, 2007.].

Lors de son introduction en 1852 dans la commune de St Esprit limitrophe de Bayonne, la corrida est interdite en France [2. La corrida, Elisabeth Hardouin-Fugier et Eric Baratay, Que sais-je, 1995.]. Elle le sera jusqu’à l’adoption de l’inique loi « Ramarony-Sourbet » le 24 avril 1951 qui précise que des « sévices graves et des actes de cruauté » sont légaux si il y a « tradition locale ininterrompue » des courses de taureaux. Ce fameux alinéa 3 de l’article 521-1 du code pénal, devenu ensuite alinéa 7, tolère donc la barbarie au nom des traditions.

Pendant près d’un siècle, des élus complaisants ont donc permis que des actes illégaux de torture sur animaux soient perpétrés sur l’ensemble du territoire français (au début du 20ème siècle, il y avait des corridas à Paris et dans le nord de la France !)… Mais l’être humain évolue et devient plus sensible à la souffrance de l’autre, y compris si cet autre est un animal. Ainsi le 8 juin 2004, Mme Muriel Marland-Militello, courageuse députée des Alpes-Maritimes, dépose une proposition de loi (n° 1652) pour l’abolition des corridas en France. En Avril 2007, elle a recueilli le soutien de 76 députés. C’est peu ? C’est vrai, c’est insuffisant pour obtenir l’abolition avant la fin de la législature. Mais combien de députés soutenaient la lutte des abolitionnistes 4 ans auparavant : deux ou trois, pas plus… Et combien de candidats à la présidentielle de 2002 s’étaient positionnés clairement sur le sujet ? Aucun. Les plus « courageux » prônaient l’arrêt de l’extension de la corrida (les Verts par exemple). On pouvait donc continuer l’horreur tauromachique dans les villes où cela se pratiquait déjà…

Début 2015, ce sont près d’une centaine de députés qui se déclarent abolitionnistes.

2007 : la corrida devient un enjeu politique.

En 2007, quatre candidats se sont clairement exprimés pour l’abolition de la barbarie des arènes : Dominique Voynet (depuis septembre 2006, l’abolition totale de la corrida fait partie du programme des Verts) et José Bové ont signé le manifeste du CRAC. Arlette Laguiller et Gérard Schivardi souhaitent l’abolition d’un spectacle qu’ils qualifient de cruel. Frédéric Nihous, Jean-Marie Le Pen et Philippe De Villiers sont pour la « tradition tauromachique », François Bayrou et Marie-George Buffet n’aiment pas la corrida mais ne s’engagent pas sur le sujet. Olivier Besancenot ne s’est pas exprimé sur le sujet. Quant à Nicolas Sarkozy, il s’affiche aux arènes de Madrid avec le directeur des arènes de Nîmes mais nous fait répondre par son attachée de presse le 16 février 2007 : « Je vous confirme que la position de Nicolas Sarkozy sur la corrida n’est à ce jour pas tranchée »… Quand compte-t-il « trancher » ? Enfin Ségolène Royal est contre la souffrance animale mais trouve que la corrida est un spectacle magnifique… Courage, quand tu nous tiens !

L’abolition est en marche !

Si des élus osent enfin dénoncer cet anachronisme barbare, c’est aussi parce que les associations abolitionnistes les sensibilisent et les sollicitent. Ainsi, en janvier 2004, le CRAC a lancé une pétition, publiée dans l’hebdomadaire « Marianne » le 12 août 2006 sous le titre, « Manifeste pour l’abolition des corridas – 200 personnalités ont déjà signé ! »

A ce jour c’est environ 2000 personnalités et 150 000 citoyens qui ont signé pour l’abolition et l’interdiction immédiate de l’entrée des arènes aux mineurs. Car en France, la corrida c’est gratuit pour les enfants. Parmi les signataires, nous pouvons citer le professeur Albert Jacquard, le regretté Jacques Derrida ou le philosophe Morad El Hattab, tous trois présidents d’honneur du CRAC, des députés non seulement français mais aussi de toute l’Europe, des responsables de partis politiques (Verts, MEI, Génération écologie, MHAN, France en action), le maire de Rouen, M. Albertini ou le maire d’Aix-en-Provence, Mme Joissains-Masini. Les journalistes José Artur, Stéphane Bern, Laurent Bignolas, Guy Carlier ou Bruno Masure ont également signé. C’est aussi le cas de Guy Bedos, Jean Ferrat, Yannick Noah, Robert Hossein, Hubert Reeves et beaucoup d’autres (liste complète http://www.anticorrida.comcrac-europe/le-manifeste/).

Par des campagnes d’affichage depuis 2003, des campagnes radiophoniques et de nombreuses interventions dans les médias, le CRAC contribue à cette prise de conscience. La prochaine législature française devrait permettre d’en finir définitivement avec cette torture légale.

L’article 521-1 vu par Gérard CHAROLLOIS

Le juge Gérard CHAROLLOIS, Vice-Président au tribunal de grande instance de Périgueux et Président de la Convention Vie et Nature pour une Ecologie Radicale, présente une analyse de l’article 521-1 du Code Pénal. Ce texte nous apporte un nouvel éclairage sur une loi qui, en France, tolère de façon totalement absurde la torture tauromachique sur certaines zones du territoire, sous le seul motif de « tradition locale »…

Note juridique sur les « courses de taureaux » au regard de la jurisprudence :

Un récent arrêt confirmatif de la cour d’appel de Toulouse, prononcé le 20 janvier 2003, renforce une jurisprudence quasi-univoque et néanmoins tout à fait contestable d’un strict point de vue juridique.

L’article 521 du code pénal, héritier de l’article 453 de l’ancien code, incrimine et réprime le délit d’acte de cruauté envers les animaux apprivoisés ou tenus captifs. A titre d’exception, l’article prévoit un fait justificatif de l’acte de cruauté « pour les courses de taureaux lorsque existe une tradition locale ininterrompue ». Pour le législateur l’énoncé même d’un fait justificatif révèle qu’il range la corrida au nombre des actes de cruauté puisqu’une dérogation à la prohibition de ces actes a été expressément édictée à l’instigation des parlementaires des localités concernées par une pratique qui suscite de telles passions que les raisonnements des magistrats s’en trouvent un peu « altérés ».

Si pour ma part, je condamne sans réserve au nom du respect dû à toute souffrance et à tout être vivant, une activité ludique consistant à torturer jusqu’à la mort un animal, je veux ici tenter une analyse technique objective de la loi. Les tribunaux et la cour de cassation, régulatrice de la jurisprudence, doivent dire le Droit, non pas sans éthique et sans conscience, mais en faisant abstraction des convictions personnelles des magistrats. Les juridictions qui se sont prononcées jusqu’à ce jour ont manifestement fait œuvre un peu subjective et partisane de la corrida.

Ces juridictions ont été appelées à interpréter la loi et en particulier la proposition clé : « lorsque existe une tradition locale ininterrompue ». Un spectacle taurin pouvait-il être organisé en banlieue de Bordeaux (Floirac), alors que quelques décennies séparaient ce spectacle de la dernière corrida de Bordeaux ? Un club taurin peut-il légalement chercher à relancer les corridas à Toulouse, alors qu’il n’y a pas eu de tels « jeux » depuis 1976 ?

Les juges ont couvert la corrida en retenant que dans l’ensemble régional existait une tradition de tauromachie.

Leur raisonnement constitue une évidente dénaturation de la loi et de la notion « de tradition locale ininterrompue ». Il deviendrait évident, en retenant leur interprétation du texte, qu’entre Fréjus, dans le Var et Mont-de-Marsan, dans les Landes, les promoteurs de spectacles pourraient soutenir qu’existe une tradition locale ininterrompue et insusceptible de l’être dès lors qu’il suffirait de constater l’existence d’une corrida, dans une localité quelconque du tiers Sud de la France pour affirmer que la disposition légale ne peut pas jouer. La restriction perd tout sens et l’interprétation donnée par le juge toulousain retire à la prudence du législateur toute portée.

Si « local » veut dire « tiers Sud de la France », il n’y a plus à rechercher l’existence ou l’absence d’une interruption de la tradition. Il suffit que des corridas aient lieu à Nîmes pour en justifier à Toulouse ou partout ailleurs. « L’interruption » visée par la loi devient une condition impossible et la proposition « Lorsque existe une tradition locale ininterrompue » devient absurde. Le texte ne peut avoir de sens qu’en donnant à la notion de « local » sa portée littérale de « localité », d’agglomération puisqu’à défaut la prescription s’avère sans signification. Le législateur aurait écrit « les courses de taureaux sont autorisées dans le tiers Sud de la France ». Une corrida organisée à Nîmes constituerait, selon la jurisprudence ici critiquée, un témoignage de tradition ininterrompue, valable pour Agen, Toulon, Toulouse et Bordeaux. L’arrêt de la cour d’appel de Toulouse vide les termes de « local » et « d’ininterrompue » de tout sens. Il nie la portée du texte et aboutit à légaliser systématiquement la corrida partout, y compris dans des localités qui ont cessé d’en abriter depuis plusieurs dizaines d’années, ou même qui n’en ont jamais connues mais qui se situent vaguement dans le sud du pays. Or « local » n’est pas régional, surtout lorsque ladite région couvre un tiers du territoire national métropolitain. « Tradition ininterrompue » ne doit pas être méconnue. Si une activité délictueuse, considérée comme telle par le législateur lui-même, bénéficie d’un « fait justificatif », celui-ci doit être interprété conformément à la loi. Le fait justificatif n’existe que si « localement » existe une tradition « ininterrompue ». Lorsque dans une agglomération, voire un département, cesse pendant une trentaine d’années, la pratique des corridas, le juge doit en tirer les conséquences que la lettre et l’esprit du texte commandent. Faute de remplir les conditions prévues pour la constatation du fait justificatif, le délit de cruauté envers animal est caractérisé.

La présence « locale » d’amateurs de corrida relevée par le juge toulousain sans doute un peu conscient de son audace interprétative de la loi, ne saurait à elle seule réaliser la « persistance d’une tradition ininterrompue ». Il y a sans doute des amateurs de corrida à Paris, Lyon, Dijon ou Lille et le raisonnement de l’arrêt aboutirait à en déduire l’existence d’une tradition ininterrompue dans ces villes.

A terme, la cour de cassation devra bien opérer sa censure sur une jurisprudence négatrice de la loi en ce qu’elle vise à limiter les spectacles taurins, ce qu’ont voulu éviter les juges du fond au prix d’un manque de rigueur dans l’analyse du texte légal. Les juges ne pourront pas indéfiniment trancher comme si les mots de « locale » et « ininterrompue » ne figuraient pas dans le libellé de l’article 521 du code pénal. Ainsi, si nous pouvons attendre d’une évolution des mœurs et des manières une condamnation morale de la cruauté érigée en spectacle, si nous pouvons demander au législateur de modifier la loi afin de supprimer la dérogation des « courses de taureaux », nous devons demander au juge d’être impartial et rigoureux dans son raisonnement et en l’état du droit positif sanctionner la corrida lorsqu’elle se propose de s’implanter là où n’existe pas une « tradition locale ininterrompue ». En édictant « tradition locale ininterrompue », le législateur a visé le cas des localités où a existé une tradition, mais où celle-ci a été interrompue. A Toulouse la corrida a peut-être été pratiquée autrefois. Depuis une trentaine d’années cette agglomération n’a plus organisé de spectacles de cette nature. Sauf à nier les faits et les mots, les exigences légales ne sont plus réunies pour la tolérance de cette activité ludique localement. Il ne manque pas de « places » où sévit la corrida dans ce pays pour permettre aux organisateurs de spéculer sur le goût des foules pour les jeux sanglants.

Mr Gérard CHAROLLOIS,
Convention Vie et Nature pour une Ecologie Radicale

Nous remercions le juge Gérard CHAROLLOIS pour cette analyse très juste de la situation… Nous devons malheureusement en conclure que dans l’état actuel des choses, tant que cette loi inique restera en vigueur, tant que quelques juges aficionados en feront une interprétation extensive, les attaques en justice seront vouées à l’échec… C’est pourquoi nous n’avons actuellement qu’une option : Faire changer la loi…

Partage

Shares