Robert Margé, organisateur des corridas de Béziers, vient d’être rattrapé par le fisc en raison de graves irrégularités sur des versements de TVA relatifs aux corridas tenues en 2011 dans cette ville. Il s’était auto-octroyé un taux de 5,5% alors que les spectacles tauromachiques sont soumis à une TVA de 20% (19,6% à l’époque des faits). Selon lui, la corrida étant inscrite à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel (PCI) de la France, elle devrait relever de la TVA réduite qui s’applique aux événements culturels.

Or cet argument n’a aucune valeur juridique. La Direction Générale des Finances Publiques a toujours été claire à ce sujet : c’est le taux normal de TVA qui s’applique à cette activité, et non le taux réduit, comme cela avait été confirmé dans un courrier adressé au CRAC Europe fin 2012.

Une pratique illégale souvent utilisée depuis trente ans

Condamné par le Tribunal Administratif de Béziers à un redressement de 241.000 euros correspondant au différentiel impayé en 2011, Margé n’a pas nié les faits. Il a même ajouté qu’il avait procédé de manière identique en 2012 et 2013. Il va donc certainement être poursuivi à nouveau pour les mêmes raisons en vue de recouvrer les années en question.

Les tentatives des organisateurs de corridas en France pour payer une TVA plus basse que ce que dit la Loi n’ont rien de nouveau. Dans les années 80, Simon Casas (arènes de Nîmes) y avait recours via des sociétés-écrans qui se disaient « de bienfaisance » afin de profiter du taux le plus bas à l’époque, une affaire révélée en 1991 par le CRAC et publiée par le Canard Enchaîné.

Suite à l’inscription de la corrida au PCI, Casas a récidivé en 2011. Robert Margé déclare avoir agi de concert avec les frères Jalabert (arènes d’Arles) et Simon Casas (Nîmes) pour des raisons qualifiées de militantes. Voilà qui met un terme aux espoirs affichés de ces derniers, qui affirment être en négociation avec les services fiscaux alors qu’il n’y a rien à négocier. Il faut dire que, selon Casas lui-même, les corridas n’ont aucune chance d’être rentables avec une TVA normale. Le prétendu acte militant consistant à la minorer est en fait un artifice désespéré pour que les comptes semblent moins déficitaires qu’ils ne le sont. De plus, les spectateurs, eux, achètent leurs billets avec une TVA à 20% et se font donc gruger par les organisateurs qui tentent de ne rétrocéder à l’État que 5,5 à 7% de leurs recettes.

Bilans comptables révélateurs

Nous nous sommes procuré les bilans de la SAS Plateau de Valras, la société organisatrice de corridas présidée par Margé, ainsi que les rapports du commissaire aux comptes qui les a audités.

Dans son rapport sur le bilan 2013, le commissaire aux comptes fait figurer le redressement de 241.000 euros que Margé vient de régler au fisc, suite à un contrôle fiscal réalisé début 2012. Margé avait refusé de le provisionner au bilan 2012, d’où une réserve du commissaire aux comptes à l’époque. De façon logique, ce dernier émet également une réserve en 2013 puisque pour cet exercice, Margé provisionne enfin les 241.000 euros à restituer au fisc pour 2011, mais pas les impayés de TVA des exercices 2012 (189.000 euros) et 2013 (218.000 euros). Cela n’a rien d’un hasard comme on va le voir plus bas.

On apprend aussi que les principaux fournisseurs de la société Plateau de Valras sont d’autres entreprises détenues par Margé, depuis la fourniture des taureaux jusqu’à la restauration.

Corridas déficitaires

Sur la base des provisions requises par le commissaire aux comptes pour TVA insuffisante en 2011, 2012 et 2013, les revenus hors taxe liés aux corridas sont respectivement d’environ 1.709.000 euros, 1.500.000 euros et 1.730.000 euros. À cela s’ajoutent des revenus non identifiés, qui totalisent 1,1 million d’euros sur trois ans (montants arrondis) :

Comme on le voit, l’application de la TVA normale conduit systématiquement à des résultats nets déficitaires.

Par ailleurs, on peut s’interroger sur la nature des autres revenus. Les arènes de Béziers fonctionnent sur le principe d’une délégation de service public (DSP) : les collectivités territoriales délèguent la gestion à un délégataire (ici la société de Margé) pour ne pas avoir à en supporter les risques financiers.

Or, les subventions sont généralement incompatibles avec les DSP, le principe même de la délégation étant pour le déléguant de lui transférer le risque d’exploitation. Sinon, la DSP doit être requalifiée en marché public et passer par un appel d’offres, ce qui est bien plus contraignant. Pour contourner cet écueil, le déléguant verse parfois au délégataire un complément de revenus noyé dans les recettes traditionnelles (sponsors, achat groupé de places par les collectivités, etc.) ce qui le rend invisible au sein du bilan.

À titre d’exemple, la Cour des Comptes a épinglé le Conseil Général des Bouches-du-Rhône pour avoir acheté de 2006 à 2010 pour 320.544 euros de places lors des ferias d’Arles sans critère d’attribution de ces places, ce qui est illégal. Une clarification serait donc la bienvenue.

Vers la mise en faillite ?

On l’a vu plus haut, le commissaire aux comptes a préconisé de provisionner fin 2013 les différentiels de TVA constatés sur 2012 et 2013, ce qui n’a pas été fait. La provision supplémentaire aurait été de 407.000 euros, ce qui aurait diminué le résultat de l’exercice d’autant : au lieu d’un bénéfice de 46.000 euros, il y aurait eu un déficit de 361.000 euros. De plus, les capitaux propres de la société, valorisés à 326.000 euros au 31/12/13, auraient alors été négatifs de 81.000 euros. La conséquence quasi certaine aurait été une mise en faillite de la société. La raison pour laquelle les provisions pour TVA impayée n’ont pas été faites pourrait donc être une tentative de dissimulation pour l’éviter.

Si tel est bien le cas, il est surprenant que le commissaire aux comptes n’ait pas déclenché une procédure d’alerte. En effet, dès lors qu’il considère que des actes de gestion ou des omissions ont eu pour effet de masquer la fragilité financière d’une entreprise, il a le devoir d’alerter le Procureur de la République. Si le commissaire aux comptes n’engage pas cette procédure en toute connaissance de faits de nature à la déclencher, il est pénalement et solidairement responsable.

Le dossier complet de cette affaire a été remis à nos juristes qui vont décider des suites éventuelles à lui donner.

Les autres communes tauromachiques dans le collimateur du fisc

Puisqu’il est établi que Béziers, Nîmes et Arles ont tenté d’alléger illégalement leur TVA, peut-on soupçonner les quatre autres villes ayant des arènes de première catégorie (Vic-Fezensac, Bayonne, Dax et Mont-de-Marsan) d’avoir eu recours au même subterfuge ? Nul doute que les services fiscaux examinent déjà leurs comptes.

Selon nos sources, d’autres communes taurines de moindre importance seraient également dans le collimateur de la justice.

Article paru sur le Huffington Post

Partage

Shares
David Joly et Roger Lahana