Les statistiques officielles publiées par MundoToro en Espagne et la revue Toros en France confirment un déclin rapide de la corrida. En France, le nombre de corridas est passé de 159 en 2003 à 121 en 2013, soit une baisse de 23,9%. Durant la même période, en Espagne, le recul a été encore plus marqué, chutant de 2047 corridas à 903.

Les organisateurs de corridas et leurs soutiens politiques locaux blâment ouvertement les mouvements de protection animale. Un certain nombre d’entre eux ont récemment appelé le gouvernement à la dissolution du CRAC Europe, la principale association anti-corrida en France, la qualifiant de terroriste.

Le mouvement anti-corrida est sans aucun doute en train de marquer des points et de coûter de plus en plus cher aux collectivités locales. Les actions menées par les activistes autour et à l’intérieur des arènes dans le sud de la France sont devenues de plus en plus fréquentes ces dernières années, ce qui a parfois tourné à des déchaînements de violence de la part des aficionados. C’est ainsi qu’en 2011, à Rodilhan, 65 militants s’enchaînent sur la piste pour empêcher le massacre de veaux par des toreros adolescents. Des dizaines de spectateurs furieux descendent pour les rouer de coups et procéder à des attouchements sexuels sur certaines militantes. Le procès des agresseurs est prévu début 2014.

Les pro-corrida, désespérément accrochés à leurs traditions d’un autre âge, utilisent les réseaux sociaux et les journaux locaux pour galvaniser leurs troupes mais les tactiques du mouvement anti-corrida pour mettre à bas leur industrie sont de plus en plus efficaces, tant psychologiquement qu’économiquement.

Bien qu’une large majorité de Français (70% et plus, suivant les sondages) soit en faveur de l’abolition de cette activité sanglante, les promoteurs de corrida ont durci leurs positions. Avec le soutien de Manuel Valls, ils maintiennent ce qu’ils nomment un art et une tradition culturelle.

La corrida est illégale sur 90% du territoire français, où elle est considérée comme relevant de sévices graves et actes de cruauté sur des animaux (article 521.1 du code pénal). Elle ne survit qu’au prix d’une exception qui crée une zone de non-droit dans 11 départements du sud de la France. Le mouvement anti-corrida demande que cette exception soit supprimée. Plusieurs propositions de loi en ce sens ont été déposées ces dernières semaines par des parlementaires de tous bords.

Guerre économique, pression législative, intensification des actions et réseaux sociaux

Alors qu’ils gagnent en nombre et en force, les défenseurs de la protection animale sont plus déterminés que jamais pour faire disparaître la torture tauromachique de France. Leur stratégie s’articule autour des points suivants :

  • Guerre économique, d’autant plus efficace que la quasi-totalité des corridas en France est déficitaire et ne tient que par des subventions publiques (plusieurs centaines de millions d’euros par an), ce qui devient encore plus indéfendable en période de crise.
  • Manifestations quasi systématiques dans les communes qui organisent des corridas.
  • Utilisation généralisée des réseaux sociaux pour mener des cyber-actions qui dénoncent cette pratique barbare consistant à torturer en public des animaux avant de les achever à l’arme blanche.
  • Lobbying auprès des législateurs en France et au niveau de l’UE pour que la volonté de la majorité des citoyens soit prise en compte.

Avec la multiplication des actions de terrain à chaque corrida, il devient de plus en plus difficile pour les organisateurs et les municipalités de sécuriser leurs spectacles.

Le coût des manifestations pour l’État ou les communes

Lorsqu’une manifestation est organisée quelque part en France, il appartient à la préfecture de décider des moyens de sécurité à déployer. Dans le cas des manifestations anti-corrida, ces moyens sont souvent très importants.

Un gendarme ou un CRS mobilisé une journée sur le lieu d’une action représente un surcoût d’une centaine d’euros par rapport à son salaire habituel. A cela s’ajoutent les frais induits par les transports, le matériel utilisé, etc. (véhicule anti-émeute, grenades déflagrantes, flash-balls…). Une heure d’hélicoptère peut coûter de 1500 à 11000 euros.

Un détachement de gendarmerie ou de CRS provient systématiquement d’un département différent de celui où se tient l’événement à couvrir. Le but est de minimiser le risque que les membres des forces de l’ordre se retrouvent face à des personnes à réprimer dont ils seraient proches dans leur vie personnelle. Ceci induit une complexité logistique évidente, mais également un jeu parfois délicat d’équilibre dans les budgets alloués à la sécurité des départements qui tous dépendent des opérations menées ailleurs que chez eux. Pour cette raison, les budgets sont gérés de façon centralisée par le ministère de l’Intérieur.

L’addition peut très vite devenir significative. En général, c’est l’État qui paie la note. Cependant, depuis une loi votée en 2012, la facture peut être présentée à la commune où s’est située la manifestation. C’est le cas lorsque le coût représenté par le maintien de l’ordre est jugé disproportionné par rapport à l’événement contre lequel les protestataires se sont rassemblés.

Prenons l’exemple de Rodilhan le 27 octobre dernier. Environ 260 gendarmes et CRS ont été mobilisés, avec de gros moyens répressifs, ainsi qu’un hélicoptère venu faire plusieurs rotations de repérage.

D’après une source qui souhaite garder l’anonymat, la facture totale doit représenter autour de 50000 euros. L’événement que ce déploiement de force a permis de maintenir a été une corrida à laquelle environ 200 personnes ont assisté. Si tous les spectateurs ont payé leur billet d’entrée à 20 euros (ce qui n’a pas été le cas, beaucoup ayant reçu des invitations du maire afin de tenter en vain de peupler les gradins désertés), la recette a été d’environ 4000 euros.

On est bien dans le cas où c’est à la commune de payer, puisqu’elle a réagi de façon disproportionnée pour maintenir un spectacle n’intéressant qu’une poignée de personnes. Il aurait été bien moins coûteux de l’annuler.

Les Rodilhanais peuvent donc s’attendre à voir une augmentation significative de leurs prochains impôts locaux. Peut-être y penseront-ils lorsqu’ils iront voter pour leur prochain maire.

2014 sera une année cruciale

Les responsables préfectoraux sont parfaitement conscients de tout cela. Le sous-préfet des Landes a déclaré à l’occasion de l’action citoyenne autonome menée à Rion-des-Landes le 24 novembre : “Il y aurait tout intérêt à mener une réflexion au cours de cet hiver – en l’ouvrant à tous les départements taurins – afin d’envisager l’avenir sans ce déploiement de force qui, j’en suis conscient, pourrait finir par porter atteinte à l’image de la culture taurine et de ces fêtes.”

Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas tant de “l’image de la culture taurine” qu’il s’inquiète réellement (cela fait déjà longtemps que cette image est très largement déplorable dans la population française), mais de l’impact financier prévisible sur les 65 villes taurines dont la plupart sont de très modestes communes, incapables de payer ce que cela pourrait leur coûter de maintenir leurs spectacles dans de telles circonstances.

Les actions des anticorridas ne vont aller qu’en s’intensifiant en 2014, galvanisées par les trois annulations de corridas récemment obtenues à Lunel et Saint-Laurent-d’Aigouze à la demande des gendarmes eux-mêmes, qui ont avoué être dépassés par des mobilisations désormais systématiques.

Comme me l’a confié il y a quelques jours Jean-Pierre Garrigues, président du CRAC : “Les activistes vont être présents partout, que ce soit au travers de manifestations menées par des associations ou de façon indépendante. Les derniers aficionados ne vont pas pouvoir continuer longtemps à torturer des taureaux, le coût en sera trop élevé.”

Sans parler du coût réel qui est incommensurable : celui que les taureaux paient de leur sang.

Cet article a été écrit en collaboration avec le blog Anna Galore dont il reprend de nombreuses informations.

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