Les faits : des PV pour réprimer une action citoyenne à Dax

Le 14 septembre 2014, quelques dizaines de citoyens viennent aux abords des arènes de Dax pour montrer leur opposition à la corrida qui va s’y tenir. Alors que les manifestants sont simplement assis pacifiquement aux abords des arènes et n’entravent en rien la voie publique, trop peu nombreux pour empêcher quoi que ce soit, ils sont rassemblés et parqués par les forces de l’ordre. Leur identité est prise, ils sont photographiés et verbalisés pour un montant total de 60 euros chacun pour non respect d’un arrêté municipal.

Le but est évident : casser les actions citoyennes en tapant au porte-monnaie. Pour certains, 60 euros c’est beaucoup, surtout si cela devenait un procédé récurrent à chaque nouvelle action. De plus, une ordonnance pénale signifie que les personnes verbalisées n’auront droit à aucune défense organisée devant un tribunal sauf à eux-mêmes entreprendre des démarches en ce sens par le biais de l’opposition : il s’agit d’une condamnation immédiate sans jugement.

Contacté par deux des manifestants verbalisés, le CRAC Europe décide de proposer son aide juridique à tous les militants qui en feront la demande. Nous choisissons pour les défendre une excellente avocate, Maître Hélène Thouy, du barreau de Bordeaux.

Les personnes verbalisées reçoivent la notification de leur amende le 5 décembre, ce qui ne laisse que jusqu’au 5 janvier pour la contester. Une quarantaine de manifestants vont se faire connaître auprès de nous, parmi lesquels 29 décideront d’aller jusqu’au bout de la procédure. Tout cela a conduit à l’effet inverse de celui espéré par la municipalité de Dax : voir cette affaire jugée devant un tribunal au lieu d’être réglée de façon expéditive par de simples ordonnances pénales.

L’audience au tribunal de Dax

L’audience a lieu le 4 mai. Maître Thouy relève les nombreuses irrégularités qui figurent sur l’arrêté ayant interdit toute manifestation à moins de 500 mètres des arènes : incompétence du maire concernant les mesures de police (qui incombent au préfet), illégalité de l’arrêté qui a été signé non par le maire mais par son adjointe qui n’a aucune délégation à le faire, rappel d’autres arrêtés liberticides annulés par des tribunaux administratifs (entre autres Vic-Fezensac, Millas et Céret en 2014).

Le juge a répliqué qu’il n’avait pas compétence à  prendre position sur l’arrêté, n’étant pas juge administratif. Maître Thouy l’a détrompé : non seulement il existe une jurisprudence dégagée depuis presque un siècle, mais surtout l’article 111-5 du code de procédure pénale précise que les « juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ».

Sans surprise, la partie adverse a contesté les principaux arguments de maître Thouy et a demandé à ce que les amendes soient portées à 150 euros.

Les militants qui ont pris enfin la parole ont nié avoir commis le moindre acte violent. En revanche, ils ont dénoncé les coups qu’ils ont reçus des forces de l’ordre sans aucune raison. Ils ont également soulevé le point fondamental du droit à la liberté d’expression et de la liberté de manifestation qui doit pouvoir s’exercer partout, y compris dans les villes tauromachiques.

Maître Thouy a plaidé que les atteintes portées par une Commune à la liberté de manifestation doivent être strictement proportionnées au but poursuivis par la mesure de police et les interdictions générales et absolues, telles que celles édictées par le Commune de Dax sont proscrites.

Elle s’est en outre appuyée sur un arrêt rendu par  la Cour Européenne des Droits de l’Homme « Cisse Contre France » du 5 juin 2009, lequel a considéré que même en l’absence de déclaration préalable formelle de la manifestation « une telle situation ne justifie pas en soi une atteinte à la liberté de réunion ». Elle a enfin dénoncé les violences et coups portés des policiers sur les militants, en rappelant qu’ils étaient tous là pacifiquement.

Le rendu de justice : relaxe générale pour arrêté illégal

S’il n’a pas retenu tous les motifs de rejet plaidés par Maître Thouy, le juge a néanmoins prononcé leur relaxe au vu de l’arrêté municipal “qui n’était pas valable ». Celui-ci avait été signé le 22 août par Elisabeth Bonjean, première adjointe au maire, “qui n’a pas le pouvoir de police et n’avait aucune délégation.”

Au lendemain du rendu du délibéré, le quotidien Sud-Ouest a fait état d’un communiqué de la ville de Dax. La municipalité est furieuse de la décision rendue, en méconnaissance totale de la jurisprudence pourtant vieille d’un siècle. Il est également précisé que, puisque la préfecture n’avait pas réagi lors de la publication de l’arrêté, c’est qu’il est valide – un argument spécieux s’il en est – et que l’arrêté en question était semblable à un autre datant de 2014 qui avait été validé – ce qui là encore ne démontre rien.

Il est donc probable que cette victoire juridique des anticorrida n’a pas fini de soulever des vagues et des contestations, voire des recours. Exactement ce que la ville de Dax voulait éviter en faisant dresser de simples procès verbaux à la va-vite.

 

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