De l’arène taurine au lieu de vie : la Plaza La Santamaría amorce sa métamorphose

Après des décennies de controverses, de violences symboliques et de luttes citoyennes, la Plaza La Santamaría à Bogotá s’apprête à tourner définitivement la page de la tauromachie. Le Conseil de Bogotá vient d’approuver en premier débat le Projet d’Accord n°819 de 2025, qui ouvre la voie à une reconversion ambitieuse de l’ancienne arène taurine en centre culturel, artistique, sportif et de bien-être communautaire.
Un basculement à la fois urbain, politique et profondément symbolique pour la capitale colombienne.

Un monument chargé d’histoire, désormais questionné

Inaugurée en 1931, la Plaza La Santamaría, située au cœur de Bogotá, a longtemps incarné une tradition importée d’Europe et défendue comme un héritage culturel. Mais depuis plusieurs années déjà, ce statut était de plus en plus remis en cause par une partie croissante de la société civile, par les associations de protection animale et par les évolutions législatives nationales.

La Colombie a franchi un cap décisif avec l’adoption, en 2024, de la loi interdisant les spectacles taurins. Cette rupture juridique a ouvert un débat plus large : que faire de ces édifices emblématiques, conçus pour des pratiques désormais interdites ? La Santamaría devient aujourd’hui un laboratoire de réponse à cette question.

Un projet de reconversion aux ambitions multiples

Le Projet d’Accord 819 de 2025, présenté au Concejo de Bogotá, ne se limite pas à un changement d’usage abstrait. Il définit une série d’orientations concrètes visant à transformer la Santamaría en un espace ouvert, inclusif et tourné vers l’avenir.

Parmi les axes majeurs du projet figurent :

  • la reconnaissance officielle de la Plaza comme équipement culturel, sportif et communautaire ;

  • la création d’une programmation permanente d’activités artistiques, culturelles, éducatives et sportives ;

  • l’organisation de forums et événements liés au respect du vivant et aux droits des animaux ;

  • la mise en place de programmes de reconversion professionnelle pour les personnes dépendant économiquement de la tauromachie ;

  • le développement d’un circuit touristique et gastronomique dans le quartier, favorisant l’économie locale ;

  • et même un processus participatif visant à renommer symboliquement le lieu.

Loin d’un simple changement cosmétique, il s’agit d’une reconstruction du sens même du lieu.

Patrimoine architectural et nouvelle vocation

L’un des enjeux centraux demeure la protection du patrimoine. Classée monument d’intérêt culturel, la Plaza ne peut être transformée sans précaution. C’est là qu’intervient l’Instituto Distrital de Patrimonio Cultural, chargé de la conservation et de la valorisation du bâtiment.

Ces dernières années, des travaux importants ont déjà été réalisés : renforcement structurel, rénovation de la façade, adaptation des installations techniques. L’objectif est clair : préserver l’architecture historique tout en libérant le lieu de sa fonction d’origine. Une démarche qui cherche l’équilibre entre mémoire et réinvention.

Une transformation déjà visible sur le terrain

Contrairement à d’autres projets urbains bloqués au stade des intentions, la reconversion de la Santamaría est déjà en marche. Le site accueille désormais des événements qui n’ont plus rien à voir avec le passé taurine : compétitions sportives, spectacles, festivals culturels, rencontres artistiques.

En 2025, la Plaza a par exemple servi de cadre à des manifestations sportives et à des projets artistiques d’envergure, confirmant sa capacité à devenir un espace polyvalent et populaire. La transformation n’est donc pas seulement annoncée : elle est en train de se concrétiser.

Une portée éthique et sociale forte

Au-delà de l’urbanisme, la reconversion de la Santamaría porte une dimension éthique majeure. Transformer une arène autrefois dédiée à la mise à mort rituelle des animaux en un lieu de culture, de sport et de bien-être constitue un geste symbolique fort.

Pour les défenseurs des animaux, c’est la reconnaissance officielle que certaines traditions ne peuvent plus être justifiées au nom de la culture. Pour la ville, c’est aussi une manière d’assumer son histoire sans l’effacer, tout en affirmant de nouvelles valeurs.

Le projet insiste également sur la dimension sociale : il ne s’agit pas d’abandonner celles et ceux qui vivaient de la tauromachie, mais de les accompagner vers d’autres activités. Cette attention portée à la reconversion professionnelle évite une rupture brutale et favorise une transition plus juste.

Des défis encore réels

Tout n’est cependant pas réglé. Plusieurs défis demeurent : la clarification du financement à long terme, la garantie d’une gouvernance réellement participative, l’équilibre entre activités commerciales, culturelles et citoyennes, ou encore la gestion de la mémoire du lieu sans glorification du passé violent.

Certains secteurs de la société restent opposés à cette reconversion et dénoncent la « perte d’une tradition ». D’autres, au contraire, craignent que le projet ne reste symbolique sans moyens suffisants. L’avenir de la Santamaría dépendra donc de la capacité des institutions à transformer l’essai.

Un symbole pour Bogotá et au-delà

Avec ce projet, Bogotá envoie un message fort : un monument peut changer de vocation sans perdre sa dignité, et un espace chargé de violence peut devenir un lieu de vie, de création et de rassemblement. La Plaza La Santamaría n’est plus seulement un vestige du passé, mais un symbole de transition culturelle et éthique.

Si la reconversion aboutit pleinement, elle pourrait inspirer d’autres villes confrontées à des héritages controversés. Car la question posée dépasse largement la Colombie :

Que faisons-nous, aujourd’hui, des lieux bâtis pour des pratiques que notre conscience collective ne peut plus accepter ?

CV  


Source : Concejo de Bogotá D.C. – ¡Histórico! Aprobado en primer debate proyecto que busca transformar la Plaza La Santamaría en un centro de innovación cultural

Partage

Shares