Un article du journal Le monde, disponible ici

A l’heure où les corridas reprennent et où les protestations font rage, l’espoir d’une abolition renaît avec le nouveau gouvernement. Depuis son avènement, les revendications citoyennes en ce sens se succèdent. Ce 11 juin 2012, l’opération “enveloppes rouges et blanches à l’Elysée” consiste à demander au nouveau président de la République la suppression de l’alinéa 7 de l’article 521-1 du Code pénal autorisant les corridas et les combats de coqs dans certaines régions. En principe interdits et punis de “deux ans d’emprisonnement et 30000 euros d’amende” comme les autres “sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux”, les corridas et les combats de coqs constituent deux exceptions autorisées par cet article dans les régions où “une tradition locale ininterrompue peut être invoquée”. Dans les 11 départements du Sud de la France où la corrida est encore pratiquée, l’opposition a toujours été la plus marquée. Cette année encore, la mobilisation suscitée par les manifestations est sans précédent depuis que les corridas ont repris début mai pour tout l’été.

Selon le sondage IFOP de 2010, pas moins des “deux tiers des Français (66%) se prononcent en faveur de l’interdiction des corridas en France”. En réponse au questionnaire de la fondation 30 millions d’amis, le président à ainsi déclaré avant son élection vouloir “trouver des solutions permettant d’apaiser les tensions”. Or, ces tensions continueront d’augmenter tant que la voix de la majorité ne sera pas écoutée, voire même défiée avec des mesures telles que l’inscription de la corrida à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel français. Cette mesure du Ministère de la culture a fait l’objet de vives contestations lors de son adoption en 2010 et peut certainement être remise en cause pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, cette mesure va à l’encontre de la désapprobation croissante de la population pour la corrida, laquelle illustre d’autant plus mal la culture française qu’elle concerne une minorité d'”aficionados” dans une portion limitée du territoire. La corrida n’est pas non plus d’origine française mais hispanique et n’est apparue en France que depuis un siècle et demi. Néanmoins, cette pratique est considérée comme une “tradition” locale dans le Sud de la France. Mais cette tradition est menacée. Les menaces proviennent tant de l’extérieur avec l’interdiction de la corrida en Catalogne, que de l’intérieur avec la recrudescence des protestations. C’est pourquoi cette pratique a fait l’objet d’une mesure de protection de la part de l’ancien gouvernement. En l’absence de menace, pourquoi la protéger ? Il en va de même pour les espèces sauvages qui, parce qu’elle sont menacées d’extinction font l’objet de mesures de protection. Enfin, cette mesure est contestable du fait que la corrida constitue un acte de cruauté considéré comme tel par le Code pénal. A lui-seul, cet argument permet de justifier le retrait de la corrida de la liste du patrimoine culturel demandé depuis son inscription par les associations anti-corridas.

En effet, il semble important qu’une pratique légalement reconnue comme “cruelle” n’y figure plus, même si cette désinscription n’emporte pas pour autant l’interdiction de la corrida demandée en finalité par ses opposants. Bien que la majorité des français soient opposés à cette pratique, celle-ci perdure à cause des intérêts d’une minorité. Or, la partie de la population française qui souhaite voir perdurer les corridas n’en est pas moins influente sur le plan politique. C’est pourquoi il n’est pas aisé pour les décideurs de trancher en faveur d’une abolition. Afin que le gouvernement n’ait pas à prendre de décision délicate par lui-même, il lui est cependant possible de consulter sa population. A cette fin, un référendum sur la corrida pourrait permettre aux citoyens français de s’exprimer démocratiquement sur cette question qui les divise. Que les résultats de ce référendum soient “pour”, ou plus probablement “contre” conformément aux sondages, la majorité aura décidée, tout comme les français ont récemment décidé du choix de leur Président au suffrage universel. La démocratie “anti-corrida” reprendrait alors le pas sur l’oligarchie “tauromachiste”. Puisque la République française est une démocratie, les décisions politiques doivent résulter de l’avis de la majorité et non de celui d’une minorité, aussi influente soit-elle.

Si finalement la France en venait à prendre en compte l’opinion majoritaire et à interdire la corrida sur tout son territoire, celle-ci rejoindrait alors sa proche voisine, la Catalogne, ayant initiée cette abolition en juillet 2010. Bien qu’étant le berceau de la corrida, l’Espagne a fait le premier pas en prouvant qu’il était possible d’interdire cette pratique, au moins dans l’une de ses provinces. Alors même que le poids de la tradition est là, celle-ci ne peut servir indéfiniment d’obstacle infranchissable au progrès moral. Sans doute plus “bête” que le taureau, l’être humain a t’il réellement besoin de martyriser un être vivant pour se prouver sa “supériorité” ?

Désormais, il est certainement temps de laisser les arènes aux spectacles non-violents et d’en finir avec les massacres qui y sont perpétrés depuis plus de deux mille ans. En tout état de cause, l’être humain à déjà montré qu’il était capable d’évoluer. Le jour viendra peut-être où nos enfants seront choqués que leurs ancêtres aient pu se divertir et s’amuser de la souffrance et de la mort d’êtres sensibles et conscients qui ne leur avaient pourtant rien fait…

Sabine Brels, doctorante en droit à l’université Laval, Québec

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