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Le Chien

Un loup rempli d’humanité

Pierre Jouventin

Docteur ès sciences – Directeur de recherches retraité du CNRS

Jusqu’à la Renaissance, la Terre était le centre de l’univers. Tous les astres tournaient autour de cet axe qui organisait l’espace. Il aura fallu la découverte de l’héliocentrisme par Copernic pour que vacillent les certitudes qui avaient habité les hommes depuis la nuit des temps, pour que la vision du monde soit transformée. Nous dirons décentrée. Bien entendu, nombreux sont ceux qui ont vainement tenté de se cramponner aux croyances de toujours, peine perdue. La vérité, si elle peut prendre son temps pour apparaitre, finit immanquablement par s’imposer. Imaginons cependant le vertige des hommes du XVIème siècle face aux révélations coperniciennes.

Se décentrer pour comprendre

C’est à ce même vertige que nous convie Pierre Jouventin. Pourquoi serions-nous l’espèce élue, celle qui se trouverait placée au sommet de la hiérarchie du vivant, hiérarchie dont nous avons nous-mêmes élaboré les critères d’accession au trône ? Du reste, y a-t-il une hiérarchie ? A l’heure où l’on cherche la vie sur d’autres planètes, d’autres manières d’être au monde sont présentes à nos pieds. Elles sont fascinantes. L’une d’entre elles aboie, remue la queue, grogne ou encore nous offre son ventre à caresser. Explorer cette façon d’exister et de percevoir le monde revient à un décentrement majeur. Le chien, car c’est de lui dont il est question, est le mammifère dont nous sommes le plus proche au regard de notre organisation sociale d’une part, et de notre caractère d’individus coopératifs d’autre part. Son intelligence défie la nôtre, pour peu que l’on s’affranchisse des critères habituellement admis pour juger des capacités intellectuelles d’un sujet. Notre regard même est chargé de malentendus lorsque nous évaluons les facultés d’une race canine par rapport à une autre : il est marqué par l’utilitarisme.

Quel regard sur cet être du quotidien à l’amour démesuré ?

Nous confondons intelligence et obéissance aveugle : le chien capable d’initiative et qui saura ainsi s’affranchir des ordres humains pour agir nous intéresse bien moins que celui qui fera preuve d’indépendance et d’autonomie. Il est donc déclassé au regard de nos critères. Le chien « miroir embellissant de notre espèce », voilà qui ne nous réhausse guère. Pourtant, le chien qui vous regarde avec intensité dans vos actes du quotidien, qui vous accompagne dans vos balades ou mâchouille vos souliers préférés est un loup qui n’accèdera jamais à l’âge adulte, un être qui « souffre d’un trop plein d’amour ! ». Les mots font parfois mal lorsqu’ils sont mis en perspective de ce que l’humanité inflige à ces frères terriens.

Ponctué de citations d’hommes célèbres, l’ouvrage de Pierre Jouventin est à mettre entre toutes les mains désireuses de comprendre sincèrement celui qui est justement nommé « le meilleur ami de l’homme » sans craindre de se remettre en question. Une saine lecture pour qui aime sincèrement les chiens, c’est-à-dire pour eux-mêmes.

CM

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