Le Nouvel Observateur, 5 au 11 août 2010 :

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Voici la réponse de Jean-François Besancenot, membre actif du CRAC Europe :

Monsieur le Rédacteur en Chef,

Un célèbre peintre catalan s’amusait à poser la question suivante : L’esthétique, est-ce éthique ? » La photo illustrant l’article de Sandrine Morel reflète parfaitement cette problématique : le torero Miguel Tendero y apparait superbe, et pourtant un malaise trouble surgit de cette scène de fin de corrida : souillé de sang, il tient de la main gauche une queue coupée ( ?), et de l’autre embrasse le drapeau catalan, symbole de la région d’Espagne qui vient d’interdire la corrida ! A moins qu’il n’essuie des larmes de dépit ? Pourquoi ne pas nous avoir plutôt montré une fiesta du toro embalao, variante tauromachique à laquelle l’auteur fait sobrement allusion, avec ses cornes enflammées qui enchantent le public ? Beaucoup plus spectaculaire… Mais bien sûr, manquerait l’odeur !

Malheureusement, comme dans d’autres articles récemment parus dans le Nouvel Obs sur ce thème, Madame Morel utilise amalgame grossier et caricature : « le virulent discours des « anti » fait de tous les aficionados des sadiques assoiffés de sang et des toreros, les symboles
barbares d’une culture décadente et arriérée. Voire les représentants d’une survivance du franquisme. » Comment peut-on écrire de bonne foi de pareilles inepties ? Tout y est : procès d’intention, jugement arbitraire et sans appel, condamnation expéditive sans discussion ni droit de réponse…

Le fait qu’un parlement démocratique vote clairement l’abolition de la tauromachie en Catalogne constitue pour tous les Européens un évènement marquant, très représentatif de l’évolution des mentalités… Et vous n’avez pas trouvé mieux que de donner la parole à Simon Casas, « deuxième producteur ( ?) de corrida », figure bien connue du milieu taurin, qui milite pour que cette pratique soit classée « patrimoine culturel » ! L’honnêteté intellectuelle la plus élémentaire aurait du vous conduire à mentionner l’opinion et les arguments des députés abolitionnistes… Mais « nada » !

Vous avez donc choisi clairement, et sans nuance, votre camp, celui des « pro »… Cela traduit à mon sens un manque majeur de clairvoyance. Le respect des principes éthiques fondamentaux, vis-à-vis notamment du monde animal, préoccupe un nombre croissant de citoyens de ce pays, Est-ce un signe précurseur de décadence, ou plutôt de progrès à venir pour notre civilisation ? Il faut certes savoir défendre une idée, même très minoritaire, que l’on croit juste, mais savez-vous au moins combien de Français souhaitent la disparition de la tauromachie ? Et connaissez-vous le nombre actuel de parlementaires français et européens qui se sont positionnés en faveur de son abolition ?

Je suis désolé de ne plus trouver chaque semaine dans le Nouvel Obs les positions courageuses et progressistes, qui m’ont aidé depuis une trentaine d’années à comprendre l’évolution du monde… C’est donc avec quelques regrets et une certaine nostalgie que je souhaite désormais mettre fin à cette vieille « collaboration ».

JF Besancenot,

Professeur de médecine et chef de service

PS : J’exhorte Madame Morel à ne pas utiliser, en réponse, le procédé
habituel consistant à « ringardiser » ses « adversaires idéologiques »
: je ne suis pas une mémère à chienchien, et suis lourdement conscient
de toute la misère de l’humanité… Vieux clinicien exerçant depuis près
de 40 ans, je n’ai pas besoin d’assister à la corrida pour être, à
l’hôpital, quotidiennement confronté au sang, à la merde, et à la mort…

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