Quel est le lien existant entre les boutiques du sexe (sex-shop), les mirodromes (peep-show), les théâtres érotiques ou pornographiques d’une part et la corrida d’autre part ?

Telle est la question que je me proposais de poser, un de ces jours, à un candidat à l’une de nos grandes écoles de fonctionnaires.

J’imagine (non sans cette nécessaire cruauté qui doit habiter tout examinateur et, en l’espèce, ce sentiment m’habite) l’embarras des impétrants et les réponses offertes :

« un flagrant délit d’assouvissement de nos penchants les moins glorieux, la jubilation de la plus mauvaise part en soi1 » : non, cher candidat, car répondre cela est très désobligeant à l’égard des amateurs de spectacles de sexe.

« une mise en scène d’un spectacle plutôt olé-olé » : ah non, mademoiselle, épargnez-nous cet humour, vous n’êtes pas au grand oral de l’ENA, ici !

« la consécration (j’évite le substantif déclinant du verbe « ériger ») de la queue en tant que récompense » : pas mal, mais ce n’est pas la réponse attendue !

La bonne réponse est l’ordonnance 59-28 du 5 janvier 1959 !

Cette bonne et vieille ordonnance, toujours en vigueur, permet, en effet, l’interdiction par arrêté préfectoral de l’accès des mineurs de dix-huit ans à « tout établissement offrant des distractions ou spectacles, lorsque ces distractions ou spectacles ou la fréquentation de cet établissement se révèlent de nature à exercer une influence nocive sur la santé ou la moralité de la jeunesse ». Il est vrai que son application a historiquement plutôt concerné les lieux à connotation sexuelle sus-évoqués ; mais rien n’interdirait à ce qu’elle s’exerce à l’encontre de tout autre spectacle ayant « une influence nocive sur la santé ou la moralité de la jeunesse », comme, par exemple… la corrida. Corrida à propos de laquelle la défenseure des enfants, Claire Brisset, écrivait le 1er juin 2005 : « Agir pour tenter d’éviter aux enfants d’être les témoins ou les acteurs de pratiques cruelles sur des animaux me paraît non seulement utile mais louable. Il en va de leur équilibre et de la préservation des valeurs morales qu’il nous appartient de leur transmettre. »

Le gouvernement pourrait ainsi requérir des onze préfets encore concernés par les spectacles tauromachiques (Aude, Bouches-du-Rhône, Gard, Haute-Garonne, Gers, Gironde, Hérault, Landes, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées et Pyrénées-Orientales) l’interdiction de l’accès des mineurs de dix-huit ans aux arènes. Aucune chance, perdu d’avance, pensez-vous… Peut-être pas, car il existe également une magnifique carotte pour tout exécutif qui se risquerait à engager cette démarche ; et cette carotte se cache dans les articles 235 ter L et 235 ter MB du code général des impôts ! Pour faire simple, aux termes de ces dispositions un prélèvement spécial de 33 % est perçu sur les bénéfices industriels et commerciaux imposables à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu qui résultent d’une activité notamment interdite d’accès aux mineurs par application de l’ordonnance n° 59-28 du 5 janvier 1959.

En ces temps de « vaches maigres » et de traque d’éventuels gisements cachés de deniers publics, n’est-ce pas là l’occasion rêvée de réaliser une double « bonne action » : préserver notre jeunesse de ces spectacles pour le temps qu’il leur reste à vivre tout en faisant rentrer dans les caisses de l’État le tiers des bénéfices que cette activité engendre. Bon à prendre, non ?

Philippe Harang, Magistrat

Illustration : Le porno oui, la corrida non, par Charb

sur Charlie Hebdo

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