Après avoir analysé les résultats financiers récents – tous déficitaires – des corridas qui se sont tenues ces dernières années à Bayonne, Béziers et Arles, nous poursuivons notre panorama des places tauromachiques de France avec Nîmes. Cette ville a été le point de départ en 2011 d’une opération concertée de malversation fiscale de la part de différents organisateurs de corridas, consistant à s’auto-accorder une réduction de TVA illicite sur le chiffre d’affaire réalisé. On peut qualifier ce procédé de déni fiscal dans la mesure où il n’y a aucun doute sur le taux de TVA applicable aux corridas. La Direction Générale des Finances Publiques a, en effet, toujours maintenu clairement que seule la TVA au taux plein est due pour ce type d’activité. La tentative d’escamotage que représente le différentiel impayé depuis 2011 s’élève à plusieurs centaines de milliers d’euros pour chacun de ces organisateurs. Des contrôles fiscaux sont d’ailleurs en cours et ont, pour certains, déjà abouti à d’importants redressements, comme à Béziers en décembre 2014.

La ville de Nîmes délègue l’organisation de ses corridas à Simon Casas, au travers de l’une de ses sociétés nommée SCP (Simon Casas Production). Il a été le premier à déclarer publiquement, lors d’un conseil municipal de la métropole gardoise, qu’il appliquerait désormais un taux de TVA réduit, au prétexte que la corrida venait d’être inscrite à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel (PCI) de la France. Or, cette inscription n’a jamais eu le moindre impact sur la réglementation fiscale qui gère la tauromachie, comme Bercy l’a confirmé à plusieurs occasions depuis.

De l’art de dissimuler une situation de faillite

En matière de sous-estimation de la TVA, Casas n’en est pas à son coup d’essai. Déjà au début des années 90, il avait été rattrapé par le fisc pour des raisons similaires. Il semble que ce ne soit pas le seul aspect sur lequel il franchit des lignes blanches quand il s’agit de règles comptables.
En effet, son bilan 2012 ainsi qu’une assemblée générale extraordinaire (AGE) tenue en septembre de la même année suggèrent que sa motivation réelle à retenir une large partie de ce qu’il doit au fisc est de dissimuler que son entreprise serait en situation de faillite chronique depuis plusieurs années. Difficile de l’affirmer totalement puisque, en infraction au droit des sociétés, il n’a jamais déposé ses comptes 2013, ce qu’il aurait dû faire au plus tard le 31/07/14. Concernant les comptes 2014, il lui reste encore cinq mois pour les déposer et on ne peut donc rien en dire. Cela étant, les informations remontant à 2012 décrivent une situation potentiellement catastrophique pour son activité.

Les capitaux propres de la société sont de -122.000 euros, ce qui peut entraîner un dépôt de bilan. Les pertes cumulées de Casas s’allègent miraculeusement de 250.000 euros tout ronds entre 2011 et 2012. Redressement de la situation ou artifice ? Nous y revenons un peu plus loin.
L’exercice 2012 se solde par une perte de 159.000 euros. Le résultat aurait pu être positif mais il a été plombé par une provision (donc une dette) de 864.000 euros. Il s’agit du différentiel impayé de TVA entre taux normal et taux réduit, à l’instar de Margé (Béziers) et de Jalabert (Arles). Aucune provision n’étant constatée en 2011, ce montant correspond aux années 2011 et 2012, auxquelles s’ajoutera le différentiel de 2013.

Face à cette situation plus que tendue, les banques peuvent devenir frileuses. Le Crédit du Nord a cependant accepté de se porter caution solidaire de SCP à concurrence de 350.000 euros. Mais à quel prix pour son dirigeant: Casas a dû en effet, en contrepartie, se porter personnellement caution à hauteur de 455.000 euros au bénéfice de la Société Marseillaise de Crédit, une filiale du Crédit du Nord.

Venons maintenant au tour de passe-passe qui a permis d’éponger partiellement le déficit de SCP. La clé du mystère se trouve dans le procès-verbal de l’AGE tenue le 10 septembre 2012.
Le capital de SCP a été augmenté de 260.000 euros par incorporation d’une créance détenue sur Simon Casas Apoderamiento, une autre entreprise de Casas installée à Madrid. Le capital social a ainsi été porté à 300.000 euros. Puis, la société a diminué ce même capital de 250.000 euros, somme qui est venue éponger en partie les pertes cumulées. Le but de ce montage était de se mettre en règle avec l’article L223-42 du Code de commerce qui dit, en substance, que les capitaux d’une société ne doivent pas être inférieurs à la moitié du capital social.
Jusqu’en 2012, ce capital social était de 40.000 euros, donc si la somme des capitaux devenait inférieure à 20 K€, la société devait procéder dans les quatre mois suivant l’approbation des comptes à la tenue d’une AGE où les associés décideraient de la poursuite d’activité ou de la dissolution. En cas de poursuite, la situation doit être rétablie avant la fin du deuxième exercice suivant.

Les capitaux propres de SCP sont devenus négatifs pour la première fois au 31 décembre 2010. Ce qui veut dire que, la société ayant poursuivi son activité, elle devait rétablir la situation au 31 décembre 2012. Pour pouvoir poursuivre son activité, SCP ayant fait approuver ses comptes 2010 lors d’une assemblée tenue le 30 juin 2011, elle était donc dans l’obligation de réaliser une AGE au plus tard le 31 octobre 2011. En fait, cette assemblée s’est tenue avec un retard de près d’un an, le 10 septembre 2012, et enregistrée au greffe du tribunal de commerce le 5 décembre 2012.

Imaginons que la justice n’en tienne pas rigueur. Dans le procès-verbal d’AGE, Casas explique que les capitaux propres sont redevenus supérieurs à la moitié du capital social en se basant sur les données du bilan 2011. Or l’incorporation de la créance s’est faite le 10 septembre 2012 et, à cette date, la situation de la société s’était de nouveau considérablement dégradée, puisque quelques semaines plus tard, les capitaux propres étaient annoncés à -122.000 euros. Autrement dit, à la fin du délai de deux ans, Casas n’avait toujours pas redressé la barre, bien au contraire. L’article L223-42 du Code de commerce précise que, dans un tel cas, tout intéressé peut demander en justice la dissolution anticipée de la société.

Admettons qu’un juge estime que la situation était redressée au 10 septembre 2012. Puisque les capitaux propres étaient à nouveau négatifs au 31 décembre de cette année, le même processus doit s’appliquer : quatre mois pour tenir une AGE décidant de la poursuite de l’activité ou pas. Une telle AGE ne s’est jamais tenue, bien que les comptes 2012 aient été approuvés le 29 juin 2013.

Il est donc hautement probable que la société Simon Casas Production est en situation d’être dissoute. C’est vraisemblablement pour le cacher que les comptes 2013 n’ont jamais été déposés. Ce dossier a été transmis à nos juristes qui vont en tirer toutes les conséquences.

David Joly et Roger Lahana

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