Oui, j’avais 6 ans et demi et ma petite soeur 3 quand nos parents ont décidé de nous faire assister à cette horreur lors de vacances en Espagne, en Juillet 1979. Ce que j’ai vu et entendu ce jour-là m’a laissé des traces à vie.

J’ai encore, plus de 30 ans après, des images très précises en tête : la vision de cette foule hystérique, visages en sueur, déformés par la jouissance de voir le taureau souffrir.
L’odeur infâme de la sueur du gros homme qui me collait dans les gradins, cet homme ivre et rouge qui hurlait et me poussait…la vision du taureau paralysé qui n’arrivait pas à mourir et qui vomissait son sang noirâtre.
Je l’entendais beugler de souffrance malgré cette musique tonitruante. Il beuglait et ses dents blanches étaient maculées de sang….jamais je n’oublierai.
Le taureau était encore vivant quand son oreille fut tranchée. De ses yeux coulaient de grosses larmes blanchâtres.
Ses yeux roulaient come des billes, sa tête et son museau tremblaient et son pauvre gros corps martyrisé, tout piqué de banderilles et sanguinolant était parfois pris de spasmes.
Le tranchage de son oreille m’a semblé durer une éternité. C’est qu’il est dur de trancher dans le cartilage à mon avis. La pauvre bête, à bout, s’était agenouillée presque contre le rebord de l’arène, comme pour trouver un ultime refuge. Etant assise devant, j’ai vu cette abomination à moins de 2 mètres de moi. Le visage du torero était tellement cruel pendant qu’il découpaient les chairs de cet animal innocent…..il tranchait de toutes ses forces, littéralement arquebouté sur son couteau.
Puis il a brandi l’oreille à la foule. Applaudissements. Hurlements de joie. Hystérie complète.
Presque tout le monde était debout à ce moment-là.
Enfin, on attela le pauvre taureau et il fût tiré sur ses plaies par des chevaux. Je voyais bien qu’il était encore vivant. Il haletait, ses yeux étaient ouverts et ses naseaux, d’où s’échappait un sang presque noir, tremblaient.
Je voyais ses larmes couler encore. Je pouvais l’entendre mugir de douleur malgré le volume de la musique, cette ignoble musique de fanfare qui se veut annonciatrice de joie ! cette musique restera pour moi la musique de la mort. Je vacillais en sortant de l’arène, en larmes.

Les autres, tous les autres à part moi, avaient l’air tellement ravis. Oui, ils avaient l’air repus et HEUREUX. Certains mangeaient même des hot dog. Jamais je n’ai compris et jamais je ne comprendrai. Quel crime avait commis cet animal pour que des hommes se permettent de le torturer de la sorte ? aucun.
Il était l’INNOCENCE.
Que de souffrances ! que de sang ! POURQUOI ?
Je le sais : toute l’horreur de l’humanité était bien là, ce jour-là, dans l’arène, devant mes yeux effarés d’enfant de 6 ans.

Eloïse Séguineau, Paris

Partage

Shares