Le 13 janvier 2015, se tenait à Pau le procès en appel de Jean-Pierre Garrigues, cité pour injures par le club taurin de Rion et onze particuliers. Détail agréable avant d’entrer dans le vif du sujet, Pau n’étant pas une ville tauromachique, aucune barrière ni aucun déploiement de dizaines de CRS ne mettaient le tribunal en état de siège, comme à Dax. Le personnel était même souriant pour nous accueillir, nous pouvions garder nos téléphones sur nous, bref nous étions considérés comme des citoyens normaux, ce qui faisait vraiment plaisir.

La présidente du tribunal a rappelé les faits et a donné la parole au bâtonnier Dufranc qui représentait les aficionados ayant porté plainte. Il nous a tous replongés aussitôt dans l’ambiance paranoïaque délirante à laquelle nous sommes constamment confrontés avec ceux qui osent s’appeler des « taurins » alors qu’ils ont pour unique obsession de torturer et de tuer des taureaux.

Un point de droit très important pour comprendre la suite : lorsque quelqu’un traite certaines personnes de termes désagréables, il y a deux façons de les qualifier juridiquement : soit il s’agit d’injures, soit de diffamation. Une injure est une expression négative sans justification précise (par exemple, traiter quelqu’un de sale con). Une diffamation vise des faits précis attribués à des personnes identifiées ou clairement identifiables (par exemple : traiter de sadique quelqu’un qui aime voir des spectacles de torture). Une injure est condamnable dès lors qu’elle est considérée comme telle. Une diffamation n’est condamnable que si les faits et les personnes visés sont contraires à la réalité objective (c’est ce qu’on appelle l’exception de vérité).

Une diffamation peut donc être débattue sur la base d’arguments factuels, alors qu’une injure ne le peut pas. C’est bien pour cette raison que les plaignants ont choisi de poursuivre Jean-Pierre Garrigues pour injures et non pour diffamation : pour éviter tout débat sur la nature sadique, perverse, barbare de la corrida qui est clairement définie comme « sévices graves et actes de cruauté en vers des animaux » par le Code pénal – ce qui veut dire que ceux qui y assistent ou la pratiquent sont objectivement des sadiques, des pervers et des barbares. Point supplémentaire : si quelqu’un est poursuivi pour injures et qu’on peut démontrer qu’il s’agit en fait de diffamation (ou l’inverse), il est automatiquement relaxé.

Aussi maître Dufranc a-t-il tout fait pour tenter de convaincre la cour qu’il s’agissait d’injures et non de diffamation, alors que notre avocat, maître Scherrer, a tout fait pour démontrer qu’il s’agissait de termes relevant de la diffamation et donc que Jean-Pierre Garrigues devait être relaxé.

Pour se faire, Dufranc a développé l’idée que, puisque la corrida était autorisée par la loi, reconnue comme constitutionnelle et inscrite au PCI, elle ne pouvait pas relever de « sévices graves et d’actes de cruauté », quoi qu’en dise le seul article du Code pénal qui la caractérise pourtant comme telle (ce n’est pas parce qu’il la dépénalise dans certains départements qu’elle change de définition pour autant).

Dans un très long développement, il a sur-utilisé une sémantique abjecte et indécente : nous prenions « des braves gens en otages », nous les prenions « pour cible », nos actions étaient rien moins que « du terrorisme » (intellectuel ajoutait-il), voire même « de vrai terrorisme puisque la manifestation n’avait pas été déclarée ». Il y avait eu de plus « un attentat » contre les arènes de Rion (un fait sans aucun rapport avec le dossier jugé et commis par des inconnus non identifiés, mais arrivé à ce stade, plus aucun amalgame ne lui posait de problème).

Pour le bâtonnier Dufranc, faire une manifestation non déclarée est donc comparable en gravité à massacrer des gens à la kalachnikov dans un journal ou un supermarché. Traiter des amateurs de spectacles sanglants de sadiques est aussi violent que de les abattre à bout pourtant. Dégrader une porte d’arène à une autre date et par d’autres personnes que le cas jugé hier relevait d’un attentat aussi grave qu’une bombe dans un métro aux heures de pointe.

La plaidoirie de maître Scherrer a été remarquable en tous points. Il a d’abord souligné qu’il ne s’agissait pas d’une comparution pour terrorisme ou pour violence. Il a ensuite démontré en quelques mots irréfutables qu’il y avait bien une qualification de diffamation (et non d’injures), les faits mis en cause étant extrêmement précis (assister à une corrida) et les personnes visées parfaitement identifiables (puisqu’elles s’étaient senties directement et personnellement visées en le citant à comparaitre). Il a conclu sur cette phrase de Pythagore, citée par la magistrate Marie-Liesse Guinamant dans un article paru dans la Semaine Juridique en 2013 : « Tant que les hommes massacreront les bêtes, ils s’entretueront ». Une évidence qui résonne lugubrement dans les esprits au vu des crimes atroces d’il y a quelques jours.

Jean-Pierre Garrigues a eu les derniers mots. Il a redit que l’accusation de terrorisme était absolument intolérable. Il a répondu au fait que Dufranc voyait dans ce procès et d’autres un prétexte pour avoir une tribune alors que c’était lui qui était attaqué et qu’il n’avait pas choisi d’être là. S’il y avait tribune, elle avait pour source les taurins, pas les anticorrida. Il a relevé qu’un torero serait condamné à 30000 € d’amende et 2 ans de prison s’il exerçait son métier hors de la zone tauromachique et qu’il ne s’agissait donc pas d’une activité anodine. Il a souligné que trois PPL étaient déposées pour obtenir l’abolition de la corrida et que déjà cent députés avaient fait connaître leur position abolitionniste. Il a exprimé le fait qu’il nous était insupportable de voir des parents emmener leurs enfants assister à des spectacles de torture et que cela était condamné par l’immense majorité des psychiatres et psychologues. Quant à la violence, oui, elle est réelle mais c’est contre nous qu’elle s’exerce puisque nous sommes les uniques victimes depuis des années. Il a conclu en déclarant que la corrida est une réminiscence des jeux du cirque et que nous ferons tout pour la faire disparaître par la voie législative.

L’arrêt de la cour sera rendu le 26 mars.

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