Ce lundi 22 septembre s’est tenu à Dax le procès des événements de Rion des Landes. Attention, pas celui des violences graves subies par les manifestants anti-corrida le 24 août 2013, non. Celui intenté aux responsables présumés de trois chefs d’inculpation : organisation de manifestation interdite, entrave au droit du travail des toreros et mise en danger de la vie d’autrui par jets de fumigènes.

Les prévenus étaient Jean-Pierre Garrigues, Jean-Marc Montegnies, Christophe Marie et Xavier Renou en tant que personnes physiques, le CRAC Europe, Animaux en Péril mais pas la fondation Bardot en tant que personnes morales, ainsi qu’Alain Sennac pour mise en danger de la vie d’autrui en raison de sa tentative supposée d’ouvrir le camion des taureaux afin de les libérer. De plus, Sabine Landais et Alexandre Audy comparaissaient pour l’action citoyenne qui s’est tenue à Rion également, mais le 24 novembre 2013. Commençons par le premier groupe.

Le bâtonnier Dufranc nous a refait son numéro désormais bien connu, dressant un tableau apocalyptique de la zone taurine en raison de ces terroristes que sont les manifestants anti-corrida : « Les communes sont obligées de prendre des mesures incommodes et coûteuses » (sans rire…), « Les manifestants sont des étrangers au département des Landes » (espérons qu’ils avaient un permis de séjour) et cette question de fond : « Qu’est-ce que la violence ? » (ce qui nous tombe dessus quand on croise des aficionados supérieurs en nombre ?). « La violence, c’est la transgression de la loi, c’est l’intimidation, la provocation, la discrimination » (ah ben oui, c’est bien ça), « c’est un comportement mental dangereux avec des risques de dérapages graves » (transmis à nos avocats pour leur plaidoirie sur le profil psychologique de lyncheurs de Rodilhan).

Sauf que, vous l’avez compris, il parlait de nous. Et même quand il a ajouté que les enfants dans les arènes de Rion avaient été traumatisés, ce n’était pas à la vue des taurillons suppliciés, mais, bien entendu, à cause de notre présence. Étonnant, non ?

Histoire d’enfoncer le clou plus profond, le second avocat des aficionados, maître François, nous a rendus responsables du fait que le tribunal avait à nouveau été transformé en place retranchée : dix fourgonnettes de CRS, des barrières partout et tout ça pour quoi ? Pour une vingtaine de sympathisants anti-corrida, sans mégaphone, sans sifflets, sans fumigènes, sans t-shirt militant, sans rien d’autre que leurs papiers, qui voulaient juste assister à l’audience comme n’importe quel citoyen en a le droit. Pour lui, ce qui s’est passé à Rion relevait de « tentative de guerre civile, de révolution urbaine ». Fichtre ! Et tout ça sans toucher un seul cheveu d’aficionado, ils sont forts ces antis !

C’est d’ailleurs ce qu’a relevé Jean-Luc Puyo, le procureur nouvellement arrivé à Dax, après le départ ô combien apprécié de Frédérique Porterie, celle qui avait des banderilles accrochées aux murs de son bureau et qui a été mutée à Paris il y a quelques semaines. Nous avons été unanimes à le trouver remarquable de probité et d’objectivité. S’il n’a pas exonéré nos amis sur le banc des accusés d’avoir organiser une manifestation illégale – ce qu’ils n’ont jamais nié et même revendiqué – il a précisé : « Il n’y a pas eu d’actes de violence de la part des anti-corrida ». Une évidence qui ne l’était pas pour tout-le-monde et qui faisait du bien à entendre enfin.

Surtout, il a requis la relaxe sur le chef d’accusation de mise en danger de la vie d’autrui par jets de fumigène. En effet, a-t-il souligné, si des fumigènes ont en effet été jetés à un moment particulièrement tendu de l’action (nous venions d’apprendre qu’Alain était dans le coma, que Loan avait perdu l’usage de ses jambes, que Danny avait les côtes fracturées), ils ne l’ont été par aucun des prévenus, qui par ailleurs avaient clairement appelé les manifestants à ne jamais en jeter où que ce soit. Il s’agissait là du chef d’accusation le plus grave et il est donc très satisfaisant de le voir tomber, du moins si le tribunal suit les réquisitions du procureur.

Quant à l’entrave au droit du travail, nos avocats ont fait remarquer qu’il n’y en avait eu aucune puisque (1) la corrida avait bien eu lieu avec seulement 20 mn de retard selon le maire, (2) le contrat des toreros ne mentionnait aucun horaire donc avait été réalisé comme prévu.

Un mot sur le cas d’Alain Sennac : il était accusé d’avoir voulu ouvrir la bétaillère, alors qu’il tentait juste de monter comme les autres sur le camion mais n’a pu y parvenir en raison des coups portés par un responsable du club taurin rionnais qui l’ont mis dans le coma. Il devrait être relaxé puisque, comme l’a souligné le procureur, les portes de la bétaillère n’ayant pas été ouvertes, il y avait eu au pire une tentative de le faire mais qu’en droit français, une tentative n’est pas un délit. Quoi qu’en pensent les aficionados.

Il faut savoir que pour chacun de ces chefs d’accusation, les avocats adverses demandaient des peines allant jusqu’à 10 000 euros d’amende plus 5000 euros de frais de justice, le tout pour chaque prévenu. Sur quelle base ? Mystère ! Aucune justification de chiffres aussi exorbitants n’a été donnée, à part de vouloir nous asphyxier financièrement. Ou alors un traumatisme du tout-à-50-euros du verdict du 24 mars ?

La décision du tribunal sur les différents chefs d’accusation sera rendue le 13 octobre.

Passons à la seconde affaire relative à Rion : Sabine Landais et Alexandre Audy comparaissaient pour leurs rôles respectifs lors de l’action citoyenne du 24 novembre 2013, Sabine en tant qu’organisatrice supposée et Alexandre pour avoir empêché le camion des taureaux d’avancer pendant quelques minutes.

Maître François, avec son sens bien connu de la nuance, a comparé cette action où aucune violence ne s’est produite à « une tentative d’éradication de minorités » – comprenez : les aficionados, dont on est ravi d’avoir confirmation qu’ils sont bien une minorité. Le bâtonnier Dufranc en a rajouté une couche en parlant de terrorisme intellectuel qui avait conduit à un déploiement considérable de moyens (barrières, escadron de CRS, « ce qui coûte très cher à l’État »).

Maître Hélène Thouy a pris la parole : « La corrida est génératrice de trouble à l’ordre public. Il s’agit d’actes de cruauté selon la loi. Même si c’est autorisé dans certains endroits, des enfants assistent à ces actes de cruauté, des faits punis de 2 ans d’emprisonnement et de 30000 euros d’amende ailleurs en France ». C’en était trop pour Maître François qui a quitté la salle, furieux. Elle a ensuite démontré que Sabine n’avait rien fait d’autre que donner la date de la corrida à Rion sur Facebook et que tout le reste avait été improvisé par les manifestants qui s’y étaient rendus. Sabine ne pouvait donc être poursuivie en tant qu’organisatrice. Quant à l’entrave à la circulation, elle n’était pas constituée puisque seul le camion avait été arrêté pendant un temps très court, les autres véhicules passant librement sur l’autre voie. Or, un arrêt de la CEDH précise qu’il est normal dans une manifestation que la circulation puisse être temporairement perturbée et que cela ne peut faire l’objet de poursuites. De plus, le président du club taurin lui-même a déclaré que cette action citoyenne n’avait causé « aucune gêne notable ». Alors pourquoi parler de préjudice un an plus tard ?

Réponse du tribunal à toutes ces questions le 13 octobre également.

Nous remercions chaleureusement nos avocats, maître Scherrer (cabinet Phung), maître Simonsen, maître Kelidjian et maître Thouy pour leurs remarquables plaidoiries. Xavier Renou a assuré brillamment sa propre défense, en terminant sur le fait que c’est par la désobéissance civile que les principaux droits civiques ont toujours été obtenus – contre l’apartheid, pour l’égalité homme-femme, contre l’homophobie, etc. Une vraie leçon de démocratie.

Roger Lahana
Vice-président du CRAC Europe

PS : le titre de ce compte-rendu est de Victor Hugo, cité par maître Kelidjian.

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